Translate

Thursday, March 14, 2013

Jeudi, le mercredi des enfants

Le temps coule si vite, que je me rends compte que cela fait déjà 2 semaines et demi que je suis ici. Il est vrai qu’en Afrique on perd tout repère temporel : Pas de montre, pas d’horloge, pas d’horaires de bus ou de train, et pourtant tout le monde s’affère !
Motos deux roues ou trois roues, vélos de toutes tailles et de tous types, charrettes tirées par des ânes, bus où s’entassent les gens à l’arrière et sur le toit accompagnés de leurs vélos, motos et de toutes sortes de marchandises, camions remorquant des tas de choses (métaux, or, pétrôle, chèvres, cochons, terre, Brakina la bière locale...) et encore des hommes, perchés sur les tas ou pendus là où la place le leur permet afin de faire une sieste le temps du trajet.

C’est un monde parallèle au notre, où les valeurs qu’ils partagent sont à l’opposé de ce que nous concevons chez nous, dans nos maisons climatisées avec un accès à l’électricité, une douche et des toilettes sur lesquelles on peut s’asseoir et lire le journal (non, Papa ! Voyons, je ne fais pas référence à toi ! :-D). C’est la débrouille au quotidien, la solidarité et le partage. Lorsque tu rencontres une difficulté, tu ne peux pas la qualifier de difficulté. Il y a toujours une solution, et si vraiment c’est  « trop compliqué », comme ils le disent ici, c’est certainement l’un ou l’autre des dieux qui l’a décidé comme çà. Parfois, c’est très déconcertant. Un accident, un mort, c’est comme si rien ne les affectait, comme si leur sourire ne pouvait jamais s’éteindre. Pourtant, il est humain d’être triste, mais ici, face à la misère et aux difficultés du quotidien, c’est comme si s’attrister était perdre son temps et ennuyer les autres. Il ne faut pas partager sa douleur trop souvent, même si les autres peuvent la ressentir et se rapprocher de toi pour te soutenir sans te dire.

Le mari de Gladys, la responsable des éducateurs, a eu un accident dimanche, un « fou » comme ils disent ici pour parler d’un attardé mental, a traversé le goudron sans regarder, et son mari lui est rentré dedans. Le fou s’en est sorti sans rien, mais le mari de Gladys a perdu 4 dents dans l’accident et a de nombreuses blessures au visage. Tout le monde ici est allé lui rendre visite, mais personne n’a parlé de ses blessures. Si je m’étais basé sur ce qu’on disait, il allait parfaitement bien, bien qu’il soit obligé de rester à la maison, qu’il ne puisse plus manger correctement et qu’il ne sache pas s’il aura les moyens de se repayer des dents. Cette vision des choses me permet aussi de me remettre en question. Certains problèmes ne méritent pas que l’on y soit attentif, et il vaut mieux vivre que de s’arrêter et d’y prêter plus d’attention qu’il ne se doit.

Pour ma part, je commence à me créer aussi mon petit quotidien et à prendre mes repères. Je suis finalement très bien dans ma petite maison, que je commence à arranger à mon goût. J’ai trouvé une table cassée que j’ai raccommodé, et je peux maintenant y poser la nourriture et les ustensiles de cuisine qui étaient parterre sur une natte, j’ai tendu un fil me permettant de sortir ma garde-robe de mon sac de rando, j’ai pu acheter de quoi me faire la popotte et nettoyer un peu (un balai en paille qu’ils font ici à la main et qu’ils vendent 50 FCFA et une pelle trouvée dans la cour). Je ne pense donc pas déménager, car lorsque je me compare à mes collègues de travail et mes amis burkinabè, lorsqu’ils viennent à la maison, ils n’en font que des éloges. Beaucoup n’ont pas l’électricité à la maison, pas de ventilo, pas de douche, pas de coin tranquille hors de la rue, donc je me considère privilégiée et je considère que c’est à moi de m’habituer au changement et non l’inverse. Et puis, j’ai trouvé la position pour bien viser le trou, et je sais l’heure à laquelle l’eau est fraîche dans la douche et l’heure où les cafards et sauterelles géantes décident d’y élire domicile pour la nuit ! :-)

Les gens savent maintenant où je loge et viennent régulièrement me rendre visite. En plus, à vrai dire, je ne suis quasiment jamais à la maison ! De 8-9h du matin à 18-19h le soir, je suis au centre, puis je vais manger chez Fanta (qui tient le maquis derrière chez moi et fait de supers plats à 200 FCFA et un yaourt à tomber parterre) et je finis dans le maquis de Rasta, qui est devenu lui aussi mon ami le plus proche, et l’un des rare à nous considérer comme des êtres humains sans y faire intervenir notre couleur de peau et nous juger là dessus.
Rasta est quelqu’un de généreux et ouvert, mais parfois sa naïveté prend le dessus, et comme il pense que tout le monde est comme lui, il se fait bananer régulièrement. Il en avait parlé à Malou, qui lui avait dit que je pouvais lui venir en aide pour ses comptes et l’organisation de son maquis, car il perd énormément et malgré son optimisme à toute épreuve çà le rend un peu triste. J’ai donc utilisé mes deux jours de congé, lundi et mardi, pour l’aider. On est allés à l’ombre sous le hangar à côté de son maquis, avec deux cahiers qu’il avait acheté pour l’occasion, une table et deux chaises en plastique sur la terre qu’ils venaient de retourner, et on y a passé 4h. On a d’abord écrit ce qu’il dépensait pour acheter les condiments, les légumes, le riz, les pâtes, les boissons ..., puis combien il les vend. Puis, je lui ai expliqué les calculs qu’il devait faire pour savoir s’il faisait des bénéfices ou pas. J’ai ensuite fait un tableau, sur lequel ses employés doivent faire des traits pour compter plus ou moins le nombre de plats et de soupes qu’ils vendent par jour, pour savoir si c’est de là que viennent ses problèmes de recettes. Il était très studieux et très content, cela lui a permis de reprendre confiance, et de prendre en main la partie gestion de sa boutique qu’il avait fini par abandonner. 

C’est vraiment incroyable, ici les gens ont un nombre de données incroyable dans la tête, tous les prix des aliments, combien de sacs de riz il reste ... Une mine d’informations ! Comme rien n’est écrit, c’es un peu plus compliqué pour nous, occidentaux, qui avons l’impression que sans l’écrit nous serons perdus ! :-D
J’ai le même « problème » au boulot : mes chefs ont tout en tête, mais ne sont là que très rarement, ce qui m’oblige à leur soutirer toutes les infos stockées dans leur cerveau chaque fois qu’ils pointent le bout de leur nez, sous peine de ne pas pouvoir avancer ! eheheheh !

 En ce qui concerne mes tâches, je commence à prendre des repères et comprendre mieux ce qu’on attend de moi, même si la pression est montée d’un cran depuis qu’on sait que notre partenaire ne veut plus travailler avec nous. Je leur ai d’ailleurs concocté une réponse corsée à la sauce occidentale, avec textes de lois et paragraphes du contrat à l’appui. On verra ce qu’ils répondront, mais ils ont intérêt à rendre des comptes ! Pour le reste, je commence la recherche de partenaires, après avoir terminé de rédiger la présentation de l’association qu’on pourra fournir lors de rencontres. Je m’attèle aussi à la rédaction du manuel de procédures administratives, comptables et financières qu’on doit fournir à l’UE par exemple, ou à de grosses ONGs... De quoi te tirer une balle, 250 pages de tableaux, fiches de postes, revenus, fiches de paye ... Ce qui est génial, c’est que ca me forme à tout un travail qui n’était jusque là que théorique et qui me donnera l’opportunité de le réutiliser dans le futur.

C’est donc sur ce point studieux que je vous laisse, les enfants m’attendent pour faire un Uno avant de manger le repas de midi ! :-)
Bisoux et Bilfou!

3 comments:

  1. C'est génial tout ce que tu racontes :-D
    En tout cas, ma phrase préféré est celle-ci:
    "Lorsque tu rencontres une difficulté, tu ne peux pas la qualifier de difficulté. Il y a toujours une solution..."

    Combien des fois les gars ils ont essayé de donner des solutions à leurs copines ou épouses mais selon elles il n'y avait pas de solution...
    Je suis très heureux que ma copine ait finalement appris cette leçon.

    Ne le prend pas au premier degré. Je t'aime mon amour ;-)

    ReplyDelete
  2. Un billet humain, sensible et généreux. A l'image de l'auteure et de l'expérience qu'elle vit... J'attends impatiemment le prochain post. Je pense très fort à toi, prends biens soin de toi, je t'embrasse fort ma poule !

    ReplyDelete
  3. Merci à vous pour tous ces commentaires et ces compliments! Je suis vraiment heureuse de pouvoi partager ces moments avec vous! Bises chaudes du Burkina!

    ReplyDelete