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Saturday, June 21, 2014

Le chaos du Festily, concours inter-lycées aux deux visages

Je dois écrire. Il faut que j'exprime cette rage partagée avec mes élèves cette nuit du 17 mai 2014.

Je dois tout d'abord vous remettre en contexte: une semaine auparavant, mes élèves sont venus me voir à la fin de mon cours à midi.
"Madame, en fait, y'a un concours interétablissements le 17 et on voulait présenter une pièce de théâtre. Vous pourriez nous aider?"

Waouww!! Je suis comblée!! Mes élèves veulent s'investir au théâtre et c'est à moi qu'ils s'adressent!

Dans le contexte local, c'est tout simplement hallucinant.
Au fin fond de Ouaga, dans un lycée d'enfants bandits, j'ai réussi ... J'ai fait passer un message après 7 mois d'enseignement à leurs côtés. Ces petites victoires sont les plus remarquables.
J'ai traversé des moments de doute, de remise en question où d'autres me disaient de laisser tomber et de les laisser à leur triste sort, mais, je ne ais pas pourquoi, une intuition, j'ai continué à y croire...
Et voilà le résultat! Merci les enfants, merci, merci, merci!

Lorsque je leur avait distribué un cahier à chacun, au mois de décembre, pour qu'ils y laissent libre cours à leur imagination, qu'ils s'y confient par l'écriture ou le dessin, j'avais déjà été surprise. Ces petits bouts d'hommes et de femmes sont incroyablement perspicaces.
Il faut simplement prendre sur soi (parfois beaucoup!) pour arriver à se glisser dans leur quotidien et ainsi comprendre les causes de certains actes.

Ils sont paumés, soumis à des situations, des émotions et des décisions qui sont en temps normal réservées aux adultes. Pas de parents, élevés par des oncles et tantes éloignés ou leurs grands-parents qui les usent aux travaux de la maison (principalement les filles qui méritent moins d'étudier) en ne les nourissant pas assez. Ils sont livrés à eux-mêmes, obligés bien souvent de vendre du zoom-koom (boisson locale à base de farine de petit mil) ou de l'eau au bord de la route. Pas de structure familiale = pas de limite = ils ne rentrent pas dans le cadre scolaire ... C'est un cercle vicieux.

Bref, en ce qui concerne la pièce de théâtre, j'ai bien sûr accepté aussitôt. "Laissez moi le weekend et lundi je vous donne les informations En attendant, constituez un groupe solide de gens motivés.".

Cet après-midi là a été réservé à convaincre deux de mes amis comédiens de l'ATB (Atelier Théâtre Burkinabé): Dorkas et Lamine. Projet accepté, on commence dès le lundi à 17h! Chose dite, chose faite!

Nous voilà donc lundi soir regroupés dans une classe du lycée avec plus de 20 jeunes motivés. Le cocktail de l'inspiration de Lamine, des conseils de Dorkas et de ma connaissance de chacun d'entre eux ajoutés à l'engouement général, et hop! On se lance dans une pièce de 15 minutes sur le thème "Non aux violences faites dans les établissements". Que ce soient les élèves ou nous, cette semaine a impliqué des sacrifices dans des conditions d'entraînement parfois extrêmes. De 17h à plus de 20h, voire 21h chaque soir. Certains d'entre eux se doivent de mentir ou de déserter certaines tâches à la maison pour y venir. Conséquences: frappés jusqu'à n'en plus pouvoir à leur retour le soir, et bien sûr le ventre vide jusqu'au petit matin, car ici, quand c'estl'heure de manger, c'est l'ehure, et après on ne doit plus en parler.

Malgré cela, ils sont tous là au rendez-vous. Nos répétitions se font à la lumière des portables, et Ahmed (un des élèves) monte sur sa moto et la démarre pour nous éclairer de son phare dans les scènes les plus importantes.
Même si on est tous fatigués, on reste coûte que coûte. Après avoir fini à plus de 21h30 le vendredi, veille de la représentation, nous nous retrouvons tant bien que mal à 8h le lendemain matin et y repassons la journée entière dans la poussière de la minuscule cour de récré.

Les enfants se sont cotisés pour payer les condiments et tout ce qu'il faut pour manger à midi (ce qui est compliqué, vues leurs ressources financières!)

Le festival est le soir à 19h au Palais de la Culture (qui n'est pas à côté!) et les enfants, âgés de 12 à 20 ans, s'y rendront seuls, à pieds, en vélo ou en moto (pas du tout risqué n'est-ce-pas?).
On s'y donne rendez-vous peu avant et on s'inscrit ... On sent déjà le bordel et le manque d'organisation: tout le monde bourre à la porte d'entrée des artistes. C'est un brouhaha général, personne ne sait où il doit aller, à qui s'adresser. Les organisateurs, pour la plupart élèves des différents établissements en compétition, sont dépassés. Fatoumata, une de mes élèves, en fait partie. Ils tentent d'organiser un minimum la désorganisation mais c'est peine perdue. 8 établissements compétissant dans plus de 6 disciplines (théâtre, danse traditionnelle, ballet, humour, coupé-décalé ...).

Le ministre de l'éducation, dans toute sa délicatesse, arrive à 21h30, retardant d'autant le début des festivités. Mais ici, impossible de commencer quelle que festivité que ce soit sans LA présence de son excellence le ministre ... Et il le sait!

Les uns sur les autres, littéralement empilés dans de petites salles surchauffées reliées par de minces couloirs à la scène, nous attendons ... Nous attendons ... Nous attendons encore ... "Par quoi ça commence?" "j'sais pas!" "On est quel numéro?" "C'est ballet en 1er ou bien danse traditionnelle?" "C'est quelle école avant nous?" ... sont les questions sans réponses que les élèves, de toutes écoles confondues, se posent sans trouver de réponse auprès des "tee-shirts blancs" -(les membres de l'organisation) toujours plus dépassés.

Et là, c'est la pagaille qui s'installe: des élèves couchés parterre sur des pagnes qui commencent à avoir faim, soif, chaud et sommeil, des spectacles sans queue ni tête qui défilent, et surtout un blocage complet dans le couloir. Impossible d'avancer ni de reculer. Tout le monde est compressé et l'atmosphère devient insoutenable.

Sur la scène, même cinéma, personne ne sait où se placer et les micros mal réglés sifflent des bruits stridants toutes les deux notes. Claire, se faisant passer pour moi de l'autre côté (ça a parfois ses avantages d'être confondues parce qu'on est blanches! :D), court dans tous les sens, entre la cabine son et lumières et les enfants que je lui ai confiés et qui sont tout aussi paumés dans ce chaos sans nom.

19h ... 20h ... 21h ... 22h ... 23h ... 23h30 ... Nos élèves sont toujours à même le sol et les esprits commencent à s'échauffer " Madame, on nous a oubliés" dit l'un "Mais non, ça va aller!" dis-je, absolument pas convaincue de ma réponse!

Là, deux élèves jouant un rôle prépondérant dans la pièce viennent me voir: "Madame, c'est notre mère, elle est très fâchée, elle veut qu'on rentre tout de suite!" (Ce que je comprends bien sûr!) et un autre "mon père veut me frapper si je ne rentre pas maintenant!".

Et nous voilà, Lamine et moi, au téléphone avec chacun un parent, promettant de les ramener dès la fin de la compétition. Nous sommes maintenant responsables de leurs retours ... La situation devient de plus en plus rocambolesque et aucune information de la part des organisateurs...

1h du matin, tout à coup, Fatoumata accourt: "Madame! Les gens s'en vont! Ils ont dit que c'est la fin!". Et là, la voilà qui craque littéralement et se met à crier toute la rage qu'elle a dans le ventre: "Je me suis levée toute la semaine à 4h du matin, j'ai traversé le bas-fond toute seule alors que c'est dangereux, pour répéter le baller et le théâtre. Vous avez vu le temps qu'on a passé à faire ça madame? Et répéter jusqu'à 21h-22h chaque soir! Je me suis fait frapper chaque soir par ma grand-mère parce que je ne suis pas là pour les tâches de maison, mais je n'ai rien dit, parce que ça en valait la peine. Et voilà le résultat?? C'est comme ça qu'on nous remercie? Ca ne va pas se passer comme ça! On va aller se plaindre! On va parler au directeur! C'est un faux concours!".

La déception sur les visages des jeunes fait mal. Beaucoup on subi le même sort qu'elle et y auront droit y compris en rentrant ce soir (sans manger!). Ils ne parlent même plus. Tout ce travail abattu pour rien ...
Finalement, je me ressaisis et leur dis, pleine de rage et d'enthousiasme: "Ne vous inquiétez pas, rassemblez vous ici! Je veux une liste avec chacun de vos noms prénoms et numéros de téléphone! Cette pièce aura lieu, et dans une salle de théâtre où seront invités vos parents! (L'ATB ou le CCB (Centre culturel burkinabé)? On verra!) Il est hors de question que ça n'est pas lieu!" "Oui, madame! Merci".

Christian prête son dos et chacun, dans le noir, allumé d'une torche de portable, note ses informations. C'est le cœur un peu moins lourd qu'ils rentreront à la maison...


Des arrivistes, opportunistes, ayant pour unique but l'appât du gain et voulant s'en mettre plein les poches sans penser que ceux qui endureront leurs caprices seront des enfants, blessés dans leur estime de soi et pris au piège d'une farce monstrueuse. Voilà en gros le bilan scandaleux de cet épisode ...

Maintenant, c'est le moment d'organiser les retours: on fait des groupes avec des grands et des petits allant dans le même coin, et pour ceux auprès desquels nous nous sommes engagés, il faut compter: avec la motos de Parfait et celle de Xavier, on a trois motos et 8 gamins à ramener. C'est parti! A 3 sur la mienne, 4 sur celle de Parfait et 4 chez Xavier, nous voilà prês! Hop! Un arrêt par ci, un arrêt par là, jusqu'à avoir enfin déposé les deux dernières passagères! Ouf! C'est enfin fini!

UNE BIERE! Lessivés, on s’assoit enfin pour siroter une bière bien méritée ... Mon bus pour Lomé part dans exactement ... 3h! Pas le temps de dormir, on repasse vite fait à la maison et on passera toute la nuit assis autour d'une table avant que Xavier et Parfait (déjà presque dans les bras de Morphée) ne me laissent à 5h du matin devant la Rakieta (compagnie de bus) pour l'embarquement ... Ca y est! C'est les vacances! Yeepee! C'est parti!!

Si seulement je savais de quoi notre trajet serait fait ...