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Monday, November 24, 2014

Le dimanche à Koumi, c’est le jour du mariage !

Ca y’est ! C’est décidé ! Yves et moi nous marions, contre toute attente !

Maintenant, c’est parti pour les protocoles ! 


Tout d’abord, nous devons informer toute la famille de notre intention de nous marier. Cela a pris plus d’un mois. Puis, après cela, nous passons à l’organisation pratique. 
Notre coach préparatifs à l'ATB
Mon futur mari est issu de l’ethnie Bobo (les Bobos sont originaires de Bobo et ses alentours (d’où le nom de la ville de Bobo-Dioulasso), mais pas du côté « dioula » c’est-à-dire « dioulasso ». 
Il est originaire plus exactement de Koumi, un petit village classé patrimoine de l’Unesco, à une quinzaine de kilomètres de Bobo. Dans leur culture, la femme ne participe pas à l’organisation de la cérémonie. C’est au mari et à sa famille de le faire. Dans mon cas, cela m’arrange plutôt, vu le travail que j’ai ces derniers temps. J 
Yves, quant à lui, se retrouve au beau milieu des préparatifs sans savoir ce qui lui arrive.
Nous avons de la chance, l’aîné de sa famille, Cyril, est quelqu’un de très bien et il est, fort heureusement, présent à Bobo, où devrait se dérouler la cérémonie. Du début à la fin, de notre première rencontre au mariage, il nous a épaulés et conseillés à chaque fois que nous avions une question ou un souci.

A Ouaga, Yves a deux sœurs, Mimi et Dési. Elles aussi se sont investies dans les préparatifs, même si à distance ce n’est pas facile.
Notre rôle a été, tout d’abord, de comprendre ce qui nous attendait. Puis, nous avons choisi une date. Enfin, nous avons fait coudre nos habits de mariage (en basin blanc), et nous avons envoyé de l’argent pour participer aux frais d’organisation. Pour ma part, j’ai aussi dû choisir une « famille de substitution » afin de représenter mes parents lors de la cérémonie (Line, amie et collègue mariée depuis 10 ans à un burkinabé mossi, et Aude, une autre amie prête à se faire respecter au village). Le reste, un grand mystère… Jusqu’au jour J.

Le plus difficile, selon moi, est de se comprendre, dans le couple, lorsque les traditions et la culture entrent en compte. Certaines choses sont totalement abstraites pour moi, et culturellement je pose des questions, qui pour lui, culturellement aussi, ne se doivent pas d’être posées. C’est aussi un moment extrêmement difficile pour le marié, car il a un poids familial extrêmement fort sur les épaules, combiné au poids de tout jeune marié qui est celui de la responsabilité qu’un mariage peut impliquer dans une vie. Ce furent des moments intenses de sentiments, d’amour, mais aussi de frustrations partagées par nous deux, de doutes et de câlins. Un joli méli-mélo pour le cœur ! Mais c’est aussi le moyen de savoir, d’être sûrs que oui, c’est bien le bon ou la bonne, c’est bien ce que je veux pour la vie.

Ici, le mariage traditionnel, qui n’est pas « légalisé par la loi », est aussi important que le mariage civil l’est pour nous, dans notre culture. Au village, même si nous ne sommes pas mariés religieusement ou civilement, nous sommes mariés et répondons des droits et devoirs d’un couple marié.

Enterrement de vie de jeune fille
C’est un mariage traditionnel animiste, donc lié aux croyances Bobo ancestrales et relié à de nombreux secrets enfouis au village ainsi qu’aux ancêtres et aux fétiches. C’est donc, aussi, très protocolaire, afin de respecter les ancêtres et les fétiches du village, sans les offenser d’aucune manière, auquel cas, notre mariage ne serait pas reconnu par le chef du village et toute la communauté. 
La pression pesant sur les épaules de mon futur époux est donc plus qu’importante.

Avant de partir, j'ai même droit à un "enterrement de vie de jeune fille" organisé par mes deux mamans d'adoption, à l'africaine: on mange du poulet à l'ail et des frites au stade municipal et on me donne des gages applicables localement: demande 10 conseils aux personnes alentours pour être une bonne épouse, etc. Un très bon moment! :D

Ca y’est ! Le grand jour approche ! Nous sommes allés, mes belles-sœurs, Yves et Amélie et Julie (deux amies venues de la France juste au bon moment !), chez le couturier pour commander nos habits. Après un choix difficile, nous finissons par nous entendre, et je viens chercher les habits la veille de partir. 
Aïe ! Catastrophe ! J’ai demandé du orange et bleu, et voilà que le couturier a mis du doré … Ici, les artisans prennent chaque fois des libertés. Pas facile ensuite de leur expliquer qu'ils ont fait ... n'importe quoi! :D
Pour nous, comme c’est le mariage, il se remet au travail pour corriger ça toute la nuit durant, afin que cela soit prêt le jour du départ. Ouf ! C’est bon ! Le travail est rattrapé !
Longue attente avant de prendre le bus

Nous partons pour Bobo avec une nouvelle compagnie de bus qui vient d’ouvrir dans notre quartier et qui relie Bobo rapidement et sans encombre. Notre seul problème est que c'est le début des hostilités contre le gouvernement actuel, et que, pour cela, les manifestants coupent l'axe reliant Ouaga à Bobo, seule voie possible entre les deux villes. Nous devions partir à 7h et nous devrons attendre, coincés, 10h pour quitter enfin la ville.

Je ne me plains absolument pas de cette situation, car le peuple est en droit de se faire entendre. Le vent du changement se fait pressentir,  attendons de voir ce que l'avenir proche nous réserve...

Arrivés à Bobo, nous nous rendons en grande famille (c'est comme ca qu'on appelle la cour familiale). Nous sommes accueillis par la famille presque au grand complet: tous les frères et leurs femmes, le papa et la maman. Seules les deux soeurs de Ouaga manquent à l'appel, car elles prendront le bus de Ouaga demain.
Le thé en grande famille
La journée du lendemain, après une bonne nuit de sommeil dans la fraîcheur bobolaise, s'écoule tranquillement, nous laissant le temps de faire le tour de la famille et des proches en respectant le "protocole d'arrivée".

C'est une longue soirée qui nous attend: on boit tout d'abord le thé avec les voisins et les frères sous le hangar devant la maison, autour d'un grand plat de riz gras que nous a cuisiné Nicole, la femme de l'un de ses frères. Amélie et Julie nous rejoignent pour finir en boîte et fêter notre dernière soirée avant d'être liés pour la vie.

Nous finissons les hostilités à 3h du matin. Après avoir évité les masques blancs de la nuit, tenus par des chaînes et errant dans le centre de Bobo, qui sortent rarement mais frappent tous ceux qui les croisent, nous rentrons enfin à la maison...
La Guinguette, Line Gaétan et David

Pas de chance! Une réunion de famille s'est improvisée au salon entre la maman et Mimi, arrivée de Ouaga. Nous nous retrouvons donc impliqués dans les discussions le cerveau en vrac. C'est très amusant de voir Yves, les yeux à moitié fermés, en train de tenter de défendre son opinion entre sommeil et relents de Brakina. :D

Enfin, nous pouvons aller nous coucher ... séparément! La dernière nuit se fera en chambres séparées!

Debout! C'est aujourd'hui que ça se passe! Nous devons être sur place à 15h. Cela nous laisse le temps ... d'aller à la Guinguette! C'est un maquis installé le long de la rivière à 10km environ de Bobo. On peut y boire un coup sous les arbres et se baigner dans la rivière. Parfait! En route voyageurs!

Après une discussion intense avec le chauffeur d'un mini-bus et son patron désagréable qui devaient assurer le trajet jusqu'à la Guinguette et Koumi, nous décidons de nous débrouiller avec nos propres moyens: on fera un aller-retour avec la mercedes prêtée par un des beaux-frères de Yves.
Coiffure à la fourchette made in Line

Super après-midi passée en compagnie de ma "famille" locale venue m'accompagner et me défendre pour le mariage: Line et ses trois enfants, Aude et Nico, Mien et Armel, Amélie et Julie et nous, jeunes mariés. Toute la troupe profite de la baignade, d'un verre et d'un bon riz soumbala à l'ombre avant de démarrer les hostilités.

C’est le moment idéal pour que Line me coiffe pour que personne n’ait à le faire au village, on ne sait jamais ! A vos cuillères ! C’est avec la cuillère du riz soumbala que nous venons d’engloutir qu’elle me fait des tresses … africaines comme on les appelle ! ;) Et le résultat est surprenant : magnifique, juste assez simple et compliqué pour être coiffée sans excès.

Après avoir profité de l’eau et avoir ri tous ensemble, c’est l’heure ! 
L’aîné de Yves vient nous chercher avec sa voiture, ce qui nous permettra de ne pas faire deux aller-retours. Vraiment, c’est une crème ! Le soleil est au zénith malgré les 15h bien tapées. Nous grimpons, rafraîchis, dans les voitures après avoir rempli le coffre de nos affaires. Dans le calme et la bonne humeur, musique sur le poste de la voiture, nous roulons gaiement en direction de Kokoroé où habite l’un des grands-pères de Yves : Tonton Ernest. 
La poussière se lève sur notre passage, le vent souffle tranquillement sur nos serviette humides étendus aux fenêtres et sur les sièges.
La belle-famille et Tonton Ernest

Tonton Ernest nous attend, de bleu vêtu, dans une chaise de tissu, au pied du mur de sa maison, sous un manguier.
Des bancs sont amenés par les villageois, tous heureux de nous accueillir, en file indienne dans les grandes herbes.

Nous nous asseyons en cercle autour d’Ernest qui fait apporter le dolo, ou tiapalo (bière locale) et les calebasses pour nous faire boire en signe de bienvenu. Il parle dans un français parfait et érudit et me fait approcher.
Il est très heureux de faire ma connaissance et celle de ma « famille ».
Il se met alors à nous chanter une chanson en Bobo, adressée aux deux mariés : « Abou (surnom de Yves en famille) m’a dit que c’est elle, il a trouvé celle qu’il voulait et est venu me la présenter. Tous mes vœux de bonheur (…) ».
Les villageois tapent dans les mains et sur les objets qui les entourent et Yves se met à danser avec une des vieilles du village en riant. 

L’ambiance est très bonne. Une assiette pleine de « chitoumou » cuisinés à la façon Bobo fait le tour des invités et des villageois : ce sont des chenilles tachetées de noir et blanc qui sont cuites dans le soumbala et présentées en soupe. 
Yves danse chez Ernest
Je m’aventure à en manger et … c’est bon ! Un petit goût de noisette mélangé au soumbala et c’est plutôt craquant. Tout le monde ne s’y essayera pas ! :D
Tonton Ernest

Après avoir reçu les bénédictions d’Ernest que j’adore déjà, nous remontons en voiture, et après un demi-tour difficile dans les ruelles du village, nous repartons à travers la brousse, cette fois-ci en direction de Koumi, le village familial, qui se trouve à seulement quelques kilomètres de là.

L’arrivée fut fracassante ! Les femmes du village attendent déjà la mariée, et, même si elles ont tout d’abord du mal à me désigner, elles finissent par me trouver et commencent les cris et les chants. Elles m’accompagnent jusque dans la chambre qui nous est réservée. 
Yves est écarté et n’a pas le droit de me suivre. Je suis un peu perdue, d’autant que je ne comprends rien au Bobo. 
Dans la chambre m’attend la maman de Yves qui me rassure tranquillement en me disant « ne t’inquiète pas, nous sommes là. ». C’est ce que font aussi Line et Aude qui viennent s’asseoir près de moi sur le lit en me disant qu’elles ne me quitteront pas.

Arrivée au village
Finalement, les femmes finissent par nous laisser nous poser quelques minutes, et on nous assoit ensuite à l’extérieur sur la terrasse couverte de la maison où sont déjà disposées pas mal de chaises pour l’événement. Les sœurs et belles-sœurs de Yves sont en train de préparer le riz et le tô pour le soir. 

Après quelques instants, nous demandons la permission d’aller nous promener un peu. Accordé !

Nous commençons à nous enfoncer dans le village, en suivant le son d’une musique au loin, tous un peu hagards. Nous apercevons une maison, et ma belle-mère arrive en courant derrière nous. 
Arrivée dans la chambre
Attendez !! Vous n’avez pas le droit de vous promener dans le village sans qu’un membre du village ne précède vos pas ! Elle me présente alors ma « protocole », comme je la surnomme, qui va me précéder durant deux jours et m’accompagner tout le long de la procession. Ouf ! Nous avons évité le pire ! 
Après avoir salué les gens de la cour, nous apercevons, un peu plus loin, assis sous un arbre, le père de Yves et deux autres anciens du village (très bien habillés !). Nous nous approchons et mon beau-père (Albert), me fait approcher et asseoir entre lui et l’un des notables du village qui nous raconte en détails l’histoire du village par rapport au mariage :

A droite, Albert, à gauche l'Instituteur
Depuis toujours, lorsqu’un homme du village marie une femme étrangère, c’est-à-dire n’appartenant pas au village, une cérémonie de « bienvenue » est faite en son honneur pour la remercier de venir grandir le nombre d’habitants. L’homme ayant « enlevé » (on appelle ce type de mariage la …….) la femme dans son village, il doit la présenter à tout le village par une procession dans les rues et en l’introduisant dans chaque foyer.
Les différents chefs doivent ensuite donner leur accord ou non pour cette union. C’est ce qu’il va se passer pour moi.

La maman de Josseline, ma protocole, qui me remet le foulard
Après que l’on nous ait donné la route (les anciens donnent le droit aux plus jeunes de continuer leur route, c’est toujours comme ça dans le pays) et que ma protocole m’ait habillé dans le même pagne qu’elle (« Jésus est ressuscité » … Tout à fait moi ! :D), nous continuons vers la musique qui provient d’un autre mariage que nous nous devons d’aller saluer.

C’est une marée humaine qu’il y a là-bas ! Nous avons dû serrer au moins 100 mains si ce n’est plus (heureusement qu’Ebola n’est pas ici !).

Le papa du marié nous a remis de l’argent en guise de bénédiction, j’ai salué les deux mariés, et la maman de ma protocole m’a couvert la tête avec un foulard que je garderai durant toute la soirée, en signe de bénédiction.

Nous sommes ensuite allés rendre visite, toujours de plus en plus suivis, à une griotte du village. Cette femme est incroyable ! Du moment où nous sommes allés chez elle jusqu’au lendemain matin, elle ne s’arrêtera pas de chanter ni de danser.

L’instituteur à la retraite nous ayant présenté le mariage au village nous a rejoint et nous avons fait, cette fois, le tour du village animiste (la maison construite par mon beau-père est dans la partie catholique), avec toutes les explications de chaque lieu important.

Je suis présentée au chef du village et à ses deux femmes dans leur maison, puis au chef de l’environnement (des terres).
Nous retournons ensuite en direction de la maison, la nuit commençant à tomber. 

Quelle marche ! Nous sommes épuisés, mais cela ne fait que commencer ! 

Une fois à la maison, on nous sert du riz gras (nous sommes regroupés, ma famille, et la famille de Yves ne mange pas avec nous), pendant que nous enchaînons les passages à la douche dans la maison.
Même pas le temps de manger pour Yves (qui peut manger avec nous) et moi, car nous passons notre temps à nous lever pour saluer. 
Je n’arrive plus à compter le nombre de mains serrées et le nombre de bénédictions reçues ! J Ni même tous les noms et les liens de parenté !

Après m’être changée pour porter l’habit que m’avait offert l’aîné de Yves pour l’occasion, nous nous sommes assis côtes à côtes et tout le reste des convives se sont assis à nos côtés en formant un cercle. 
A ma droite, mes amis, puis beaux-frères et belles-sœurs et à ma gauche Yves, puis ses parents et oncles. En face, des gens du village. 
Devant la maison du chef
Au centre, les griots sont arrivés et se sont mis à jouer, accompagnés des danseurs griots portant des bracelets de métal aux pieds, sautant et trottinant au son des tamtams, dgembés et longas (petits tamtams qu’on met sous le bras et qu’on tape avec une baguette en forme de crochet). Takatakatak ! Cling cling ! Takatakatak ! Cling cling

Les danseurs forment un cercle face à nous, et les invités commencent à y entrer.
Le cercle devient grand, et tout le monde, y compris nous, dansons les uns derrière les autres au rythme de cette musique envoûtante. A un moment, on nous amène à manger (il est déjà minuit), et on me dit qu’il faut que je suive ma protocole. Je n’arrive pas à manger. 
On m’emmène, accompagnée de Line, dans une dépendance de la maison, de l’autre côté de la fête. 

Perdue
A l’intérieur, quatre vieilles femmes parlant Bobo m’habillent avec des pagnes en coton et lignes vertes et bleues choisies pour moi par le chef du village. Toute ma vie de couple, ce seront les pagnes que je porterai lors des fêtes et rencontres au village. En plus de m’habiller, on me couvre complètement la tête avec un pagne identique. 

Je ne vois plus rien, j’entends simplement les instruments qui tapent et le bruit des pas de danse des griots. On me fait alors sortir et la musique s’accélère. 

Je tiens fermement la main de ma protocole qui essaie tant bien que mal de m’indiquer l’endroit où je dois poser les pieds.
J’ai chaud là-dessous, mais je ne eux rien dire. Je suis là, seule avec moi-même, sous ce pagne, imaginant ce qu’il se passe autour, en sueur. 

J’ai le ventre noué, heureusement, Line me pose une main chaleureuse sur l’épaule et me glisse à l’oreille « ne t’inquiète pas, je suis derrière, je ne te lâche pas d’une semelle ! ». Je me sens rassurée et me détends un peu. 
Bénédictions
Au bout d’un certain temps, on m’assoit sur une chaise au centre (je pense, puisque je suis toujours couverte) du cercle.
Les musiciens s’arrêtent, puis reprennent, accompagnés cette fois des chants des femmes, qui, j’imagine, entonnent les bénédictions.

Enfin, on ouvre partiellement mon pagne sur la tête, et je peux apercevoir mes amis. Je suis en face d’eux, bel et bien au milieu du cercle.
Les aînés du village me saluent, et, comme depuis le début des festivités, les femmes me bénissent en tournant un foulard au dessus de ma tête plusieurs fois et en répétant des mots incompréhensibles pour moi.
Je réponds seulement « ami, ami, ami, amina ! (amen), ou encore « mba ! mba ! », qui j’imagine sont aussi des remerciements.

Ma protocole est en or, elle parle parfaitement français et m’explique tout ce que je ne comprends pas sans même que j’aie à  poser la question. Elle a aussi beaucoup d’humour et de caractère, ce qui me convient très bien dans ces moments !

Un moment après, on me lève pour me déplacer et me mettre, cette fois, dos à mes amis, face au reste du village et aux danseurs et musiciens. Les chants continuent, entonnés par les femmes et les griots. On m’enlève enfin le pagne recouvrant ma tête et je peux respirer. Cette cérémonie durera toute la nuit, jusqu’au lever du jour. C’est incroyable l’endurance et l’agilité des danseurs mais aussi de la griotte et des vieilles du village qui ne s’arrêteront pas de danser jusqu’au petit jour sans  flancher. Il faut dire que le dolo est un bon carburant ! J

J’ai réussi à veiller, ainsi qu’Yves, jusqu’à 4h 30 du matin, heure à laquelle on nous oblige à aller nous allonger un peu, chacun dans ue chambre séparée. Moi, ce sera avec ma « famille »… 
... Mais pour peu de temps ! 1h de sommeil, et on me réveille : c’est reparti, dépêche-toi ! 
Il faut t’apprêter ! On repart pour le village (animiste), pour la tournée des maisons. Aïe ! 

Bénédictions dans la grande famille animiste
Cette fois, c’est mon habit blanc, en basin brodé, que je sors, avec, par-dessus, les pagnes traditionnels choisis par le chef. 
On me couvre la tête (je vois un peu cette fois), et au moment de sortir de la maison, on me remet un bâton et un panier que je dois placer sur ma tête. Je me retourne, angoissée, vers ma protocole : « je vais devoir porter ce panier jusqu’au village ?? », elle me répond en souriant « ne t’inquiète pas, on va te l’enlever avant. ». 
Ouf ! J’ai eu peur ! Arrivés à l’orée des champs de canne à sucre et de mil, la maman de Yves et ma protocole m’enlèvent le panier, me laissant seulement la canne qui m’aidera, d’ailleurs, à tenir droite sur mes jambes dans les ruelles en pente et escarpées du village. 
C’est parti pour une longue marche, fatigués par la nuit que nous venons de passer, mais poussés par la foule.
Mes « chaisiers », comme je les appelle, courent devant. Ils portent ma chaise et celle de ma protocole et doivent toujours nous précéder dans chacune des maisons des notables dans lesquelles nous allons nous rendre. 
C’est un manège très drôle, ils sont parfois (ou elles), obligés de grimper sur les toits ou de courir dans des ruelles parallèles pour nous passer devant. Pas facile comme rôle !

Ma protocole, toujours à mes côtés et me donnant la main, me guide dans les méandres du village. 
Je ne sais même plus d’où nous venons et où nous allons. 

Petit rhabillage entre deux maisons
Le rituel est à suivre strictement : on salue les femmes devant la porte, on entre, on m’assoit (je n’ai pas le droit de le faire toute seule), puis on me fait les bénédictions en tournant un tissu au-dessus de ma tête pour les femmes et en tournant la main ou la canne pour les hommes. 

Après cela, le notable de la maison s’adresse à moi, ou à ma protocole, qui me traduit ensuite et m’explique ce que je dois répondre « mba ! mba ! ami, ami, ami, amina ». 

Ensuite, pour finir, le notable me remet dans la main droite, en prenant soin de ne pas même effleurer mon bâton, des coris (coquillages en forme de goutte qui servaient autrefois de monnaie d’échange), et des pièces de monnaie. 

Je dois ensuite les remettre dans la main droite de ma protocole qui les glisse dans un petit sac en toile qu’elle conservera pour moi par la suite.

Enfin, on se lève et on enchaîne avec les maisons suivantes : le chef du village, la cheftaine, le chef de l’environnement, le chef de la justice, le chef des griots, le chef des forgerons, le gardien des fétiches, celui des masques, la grande famille Sanou, le chef de la pluie et des récoltes, etc. 

De maison en maison, nous voilà rêveuses
A la fin, ni moi, ni mes amis qui me suivent ne savent ce qui nous arrive. 
Les pieds nous font mal, je transpire abondamment sous mon pagne traditionnel, on est ballottés de maison en maison, encore des mains encore des mains encore des mains qui veulent nous saluer. 
Tout cela, au son des percussions des griots, des danseurs et leurs bracelets et des chants des femmes qui ne se sont pas arrêtés depuis hier.


Les danseurs le matin
Une longue procession suit mes pas et ceux de ma protocole, mais, la tête enfouie sous le pagne et les pensées vagabondes, je ne le sais même pas. Je tente de me souvenir de tout, de respecter chaque geste méticuleusement, de serrer chaque main, et, seule sous cet habit, je pense au chemin parcouru jusque-là, aux liens qui m’unissent à Yves, à ce que cela engendrera dans nos vies. 
C’est étrange, mais malgré le monde, je suis seule...

Chez le chef du village
Ca y’est ! Nous avons atteint la dernière maison ! Maintenant, c’est le retour à la maison familiale, pour ensuite repartir en direction de Bobo et prendre notre bus avant midi, car les mouvements sociaux qui doucement soulèvent le pays commencent à faire rage, et les routes sont bloquées matin et soir. L’appel à la désobéissance civile faite par l’opposition et les représentants de la société civile est pour demain. Il nous faut donc vite rentrer à Ouaga.

Avant de partir on m’explique la valeur de mon bâton : un homme ne peut s’en approcher, le toucher ou l’enjamber, sous peine d’avoir quelques problèmes à … se reproduire ! J 
C’est un bâton que peu de femmes au village ont, mais que l’on me remet car Yves est le gardien des masques et le cadet de la famille. C’est une grande responsabilité. Le bâton est déposé dans un coin de la maison familiale et ne bougera plus tant que je ne le bougerai pas moi-même… Même après 100 ans !

Photo de mariage (la seule où nous sommes 2!)
La fratrie Sanou a été incroyable tout au long de la cérémonie : 
Cyril n’a pas fermé l’œil de la nuit pour que tout se passe bien.

Jean-Paul a été a côté de moi toute la matinée, filmant chacun de mes pas et surveillant chaque geste des villageois.

Amédé n’est lui aussi pas très loin et fait la chasse à quiconque voudrait mettre un nuage noir au-dessus de notre union et de la fête.

Ernest et Albert ont orchestré soigneusement chaque moment, évitant toutes sortes de problèmes, spirituels ou autres, et nous permettant de ne pas avoir un seul souci en tête. 
La maman et les sœurs et belles-sœurs, quant à elles, ont surveillé de loin et ont géré toute la nourriture et les boissons.

Je leur en suis reconnaissante et espère pouvoir leur prouver cela.

Cette expérience a été intense, spirituelle, sociale, et m’a permis de comprendre certains aspects culturels nécessaires à ma vie de couple.

1 comment:

  1. Chers Lucile & Yves,
    Et bien félicitations à tous les deux ! Je trouve la mariée très belle, et c'est la preuve, il me semble, qu'elle soit heureuse ! Je vous souhaite beaucoup de bonheur à tous les deux ! Amicalement, James

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