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Tuesday, June 18, 2013

Interculturalité, le choc des civilisations au Burkina Faso

Vieux père qui vient toujours me faire
la causette
      Après plus de trois mois passés ici, la vie suit toujours son cours, même si j’ai l’impression que le temps passe à une allure folle...

Dans ma cour, tout se passe bien. Le vieux est très gentil, et je parle bien avec mes voisins, sauf un grincheux, mais c’est pas grave, je lui souris quand-même ! Seule petite anecdote, une des familles (le couturier, sa femme, sa mère et leur fils) ont dû quitter la cour, car la semaine dernière, à mon retour du travail, un attroupement de 50 personnes criait devant l'entrée de chez nous, l'Imam et une de ses femmes tentant de calmer les choses: apparemment, la femme du couturier est bagarreuse, et s'est battue à presque se tuer avec la tresseuse de devant la porte. Les gens ont dû les séparer, et comme cela fait 5 fois qu'elle déclenche des hostilités avec d'autres dans la cour ou devant, l'Imam, pour calmer les esprits, lui a demandé de quitter les lieux. Ils ont déménagé vendredi, et un jeune militaire a pris tout de suite la place.
Pour ma part, je ne me mêle jamais des histoires, et je ne cherche jamais à savoir, je fais ma vie sans déranger et garder la tranquillité, d'autant qu'une blanche se doit d’œuvrer fort pour être acceptée et respectée dans la communauté. En restant en dehors, j'empêche les choses de se compliquer.

Sinon, hier soir, j’ai été invitée chez une de mes voisines avec qui je ris beaucoup, pour manger le tô. 
Elle a pu un peu me raconter son histoire, qui, comme très souvent ici, n’est pas des plus heureuses... Et pourtant, son sourire reste rayonnant, et son rire rauque traverse la cour de part en part.

Cadi était commerçante avec le Mali, son pays d’origine, d’où elle ramenait des pagnes (tissus), qu’elle revendait ici. L’argent rentrait, et elle avait même sa propre maison dans le centre.

Le 1er septembre 2009, les inondations frappèrent la ville de Ouagadougou, tuant des centaines de personnes et submergeant des quartiers entiers. De nombreuses personnes, dont ma voisine Cadi, y ont tout perdu ... Lors de la catastrophe, elle était en déplacement au Mali, et à son retour ... Elle découvrit sa maison sous l’eau, pillée par les voisins et les voleurs profitant du chaos régnant dans toute la ville.

Elle n’avait plus rien et a dû vendre le peu qui lui restait pour survivre et louer la petite chambre dans laquelle elle vit actuellement . Cela fait 3 ans maintenant qu’elle vit de la débrouille, vendant du bissap, du savon, de l’encens, du dégué ... qu’elle fait elle-même, et faisant la cuisine (sénégalaise et malienne) lors de mariages, baptêmes et autres. Ici, lorsque quelqu’un passe d’un « rang » de la société à un autre, il « perd ses ailes ». Comme le dit leur dicton « chaque espèce d’oiseau a ses plumes et ses ailes, et ne se mélange qu’avec ceux qui lui ressemblent. ». Si tu perds tes plumes et tes ailes, tu ne peux donc plus voler aux côtés de ceux qui étaient tes «amis ». Tu tombes, et change d’espèce, te retrouvant bien souvent très seul, livré à toi-même. Malheureusement, c’est comme çà que cela fonctionne ici. C’est la loi du plus fort.
Cadi a donc changé de fréquentations et reste bien souvent à la maison, refusant de montrer son nouveau nid à ses anciennes camarades.

Petit voisin
Dans la société burkinabè, et en Afrique en général, si je ne m’abuse, rien n’est acquis à ta cause, tout peut chavirer. Un conflit politique, un pays voisin, ou même ton pays entrant en guerre, une catastrophe climatique, un accident ... Tout peut arriver, puisque tout est balloté sans arrêt entre périodes calmes et avis de tempête. Pour cela, les gens se lèvent chaque matin en remerciant dieu de leur avoir donné la chance d’être encore là. 
C’est une manière de concevoir la vie totalement différente de la notre. Nous construisons notre futur, projetons des événements, organisons notre avenir. Ici, on vit au présent, on s’organise au jour le jour, on cherche seulement à être heureux au présent, à manger à sa faim aujourd’hui. Le but à atteindre : construire une famille. Il faut se marier et avoir des enfants, rien d’autre. 
Lorsque je demande pourquoi, on me répond qu’on ne sait jamais de quoi sera fait demain, et qu’il faut qu’on se souvienne de nous. La descendance est le seul moyen d’y parvenir : les enfants parleront de leurs parents et les représenteront dans le futur...

Se confronter à ces idées permet de s’ouvrir, et de mieux comprendre ce qu’on ne palpait pas de l’autre côté du monde. 
Cependant, il est difficile de leur expliquer que notre but est différent, que nous souhaitons réaliser nos projets, nos rêves, et que même si nous le désirons, les enfants ne sont pas notre but principal si notre situation financière et nos projets ne nous le permettent pas. Pour ce qui est du mariage, hors de question ici d’avoir des enfants avant le mariage, quelle que soit la religion. La femme peut être répudiée. Il faut se marier, puis avoir des enfants.

Lorsque je leur explique que chez nous, dans ma propre famille, les parents peuvent avoir les enfants puis se marier, les gens sont stupéfaits, et me disent que c’est « contre nature ». 
Ne parlons pas du mariage gay, qui a fait la une des journaux ici pendant plusieurs semaines. C’est maintenant, avec le conflit au Mali, le premier sujet de conversation des burkinabè lorsqu’ils rencontrent un/une français(e). Calmement, il faut expliquer l’homosexualité, les discriminations similaires que vivent les homosexuels et les immigrés en France, leur place dans la société... Petit à petit, les esprits s’ouvrent, et parfois même, certains changent d’avis. Un petit pas pour moi, mais un grand pas pour leur société ... Ici, c’est la mort presque assurée pour un homosexuel qui choisit de s’affirmer, et le sujet reste encore très tabou, vue la vision qu’ils ont de la descendance, comme je l’ai cité au dessus.

La place des femmes dans la société au Burkina Faso, quant à elle, est complexe. Comme je l’ai dit plus haut, le but est de se marier et d’avoir des enfants. Et après ? Ensuite c’est Madame qui s’occupe de tout, de la naissance à l’âge adulte : entretien de la maison, repas, lessive, et ... affection.
L’homme, lui, travaille au dehors pour ramener l’argent à la maison. Cela peut paraître plutôt équitable, mais la réalité est bien différente !

Par honte face au regard de la société, l’homme refuse que la femme travaille, même si celle-ci le souhaite, la menaçant de la laisser, ou de la chasser avec ses enfants.

L’homme sort très souvent seul dans les maquis pour y boire des bières, pendant que la femme reste à la maison pour s’occuper des enfants. Beaucoup de jeunes filles prêtes à tout fréquentent ces endroits, souvent issues de familles pauvres ne pouvant subvenir à leurs besoins, vivant de débrouille, souvent immigrées de Côte d’Ivoire, du Mali ou du Niger, loin des leurs, à cause de la guerre ou de la misère. Illettrées pour certaines, ayant arrêté les études très tôt à cause du manque d’argent pour les autres. Et les hommes en profitent. (Pas tous !) 
La polygamie est elle aussi très répandue dans la société. Exemple : mon propriétaire, l’imam du quartier. Il vit entouré de ses deux femmes et de tous ses descendants. Mais certains n’acceptent pas tous leurs enfants, et les femmes, si elles souhaitent rester au sein de la famille auprès de leur mari, se doivent de les chasser, les envoyant directement dans la rue, ou dans toutes sortes de trafics.

Lorsque je discute en tête à tête avec des femmes, les avis sur le sujet sont partagés. Certaines me soutiennent que de partager les tâches du quotidien avec d’autres est un moyen de soulager le travail qu’elle devrait accomplir seule. Mais d’autres disent qu’elles ont tout de même du mal à supporter de partager leur mari, qu’elles le voudraient pour elles seules, mais que c’est comme çà, qu’il faut faire avec. Et souvent elles sourient, d’un sourire triste et pensif. 

Les enfants n’acceptent pas tous non plus la polygamie de leur père, qui ne donne pas la même valeur à tous ses enfants, ou petits-enfants suivant la femme, la mère qu’il préfère. Plusieurs de mes amis m’ont dit qu’ils refusaient de reproduire les « erreurs » de leur père, comme ils l’appellent, et de ne prendre qu’une seule femme. Quand je demande pourquoi, ils m’expliquent avoir vécu la souffrance de leur mère, leurs pleurs, leur tristesse. Ils ne veulent pas faire souffrir à nouveau et faire vivre la même chose à une autre femme. Les enfants « moins-aimés » ont aussi de la rancœur et ne souhaitent pas que cela soit le cas de leurs enfants. Les jeunes semblent moins enclins à ce type de coutume, même si certains continuent à le pratiquer.
Cours de langues: français, allemand, anglais: 
"cet homme est un grand buveur de bières." Ahahah!
En somme, nos cultures restent très lointaines malgré la langue qui nous lie. Qui a raison et qui a tort ? Pouvons-nous, en bon colons, soutenir que la vérité vient de chez nous ? 

L’interculturalité, le choc des sociétés, nous oblige sans cesse à nous remettre en question sur notre vision de la vérité, de ce qui est bien ou mal, de la souffrance et de la liberté que j’ai toujours défendue et continuerai à défendre avec ardeur, mon féminisme sous le bras. 

La culture, les traditions, ont toute leur place dans cette lutte, et c’est en s’y plongeant que les choses pourront avancer en profondeur.

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