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Thursday, October 23, 2014

En route pour Lomé, Togo ... Un voyage haut en couleurs!

Départ pour le Togo, vroum !

Me voilà décidée, au dernier moment, trois jours avant le départ, je décide de faire mon visa et de partir à Lomé pour une semaine et demie.
John, un slameur invité sur le festival auquel je participe avec mes élèves est de là-bas et repart lui aussi en direction de chez lui. C’est l’occasion de ne pas voyager seule !

Ouf ! Le visa est fait en deux jours, et je me dépêche d’aller acheter mes billets à la Rakieta (une des compagnies de bus effectuant les trajets Ouaga <> Lomé). 
C’est parti !!! Je fais mon sac à la va-vite, et nous voilà dans le bus à 5h du matin pour un trajet long de 24h.

Le début du trajet se passe bien, même si nous passons 2h coincés à la gare de l’échangeur de l’est à Ouaga… Personne ne sait pourquoi…
Les paysages évoluent en direction de la frontière. Le jaune et le rouge virent au vert, de plus en plus touffu.

Arrivés à la frontière, même pas le temps de payer à manger. Nous tentons le coup, et le bus démarre sans nous. Quelle course ! Heureusement, nos voisins de sièges se sont rendu compte de notre absence et le bus s’arrête dans un dérapage de poussière. Merci !

Après la frontière, nous reprenons la route. Les coupeurs de route sont très fréquents sur cette voie, et il faut éviter de traverser les montagnes la nuit. Arrivés à Mango, petite ville-village près de la frontière, nous nous arrêtons. Il est 14h. 
Lorsqu’on descend, des vendeuses s’approchent de nous, des bassines en métal sur la tête remplies de blocs rouges. 
Qu’est-ce que c’est ? Du fromage ! Miam ! Nous ne nous faisons pas prier avec John pour en payer. Il investit aussi dans des pattes de chèvre (tu achètes seulement les pattes, et tu emmènes ca dans un sac plastique !).

Puis l’attente commence… 15h … 16h… 17h… Le chauffeur et son convoyeur commencent à nous dire qu’il y a un problème dans le moteur et qu’on ne peut pas monter la montagne… Ils essaient de réparer avec les mécanos du village … 18h… 19h… Toujours coincés et la nuit tombe. 
Ils nous disent qu’un bus est en route … de Ouaga ! :-O 20h… Le convoyeur s’enfuit, nous laissant seuls avec le chauffeur. Les esprits s’échauffent. Les voyageurs commencent à s’en prendre à lui. Trop de questions sans réponses. Le chauffeur perd les pédales. Il commence même à nous insulter avant de se calmer à nouveau. 
Certains montent dans des taxis brousse qui passent près de nous. Mais c’est dangereux, les coupeurs de route sont maintenant dans les montagnes, et il vaut mieux éviter de se retrouver dans leurs filets. Quelques jours auparavant, c’est un bus de la Rakieta, justement, qui a été pris pour cible sur la même route à quelques kms de là. Certains s’en sont tiré, mais d’autres, n’ayant rien à leur donner, ont été tués sommairement. Ne prenons pas ce risque. 
Il faut donc se décider à dormir dans le bus en fermant les portes à clefs, et en surveillant les alentours à tour de rôle. Minuit… 1h… 2h… 3h… 4h… 5h… 5h30. 
Le deuxième bus n’est toujours pas là. Je propose à John une autre solution. Faire du stop camions, et tenter de prendre la route par nos propres moyens.

C’est parti ! Les autres nous regardent en souriant, pensant que c’est impossible. En une minute, j’ai levé le pouce et un camion s’est arrêté : après négociations, nous voilà assis derrière le chauffeur et son apprenti sur la banquette, direction Lomé !

Le camion, une aventure humaine. 
Notre périple a été bercé par un nombre d’arrêts incalculables : charger du bois (un semi-remorque entier), charger des sacs de charbon, décharger quelques sacs, charger du coton, charger des ignames (nous aussi on en prend !), faire une pause en mangeant des mangues au bord de la route, décharger à nouveau quelques sacs pour en recharger d’autres. Et de nombreux passagers se sont assis à nos côtés: une vielle dame, une jeune femme et son fils de moins d'un an, des hommes, plusieurs, une petite fille, etc.

C’est le soir vers 22h que nous arrivons enfin à Lomé. La ville est presque endormie. 
Ici, ce ne sont pas des taxis voiture qui sont le plus fréquents, mais des motos, qui prennent des passagers. 
Nous montons chacun derrière quelqu’un et nous enfonçons dans les ruelles de la ville pour se retrouver enfin devant la maison de John, située dans le quartier Agbalépédo. Son appartement est niché tout en haut d’une maison de trois étages, sur une grande terrasse qu’il partage avec une voisine et ses enfants. 
Après un bon repas (de la pâte de maïs préparée par la voisine), nous nous couchons enfin pour une bonne nuit de sommeil bien méritée ! J


Saturday, June 21, 2014

Le chaos du Festily, concours inter-lycées aux deux visages

Je dois écrire. Il faut que j'exprime cette rage partagée avec mes élèves cette nuit du 17 mai 2014.

Je dois tout d'abord vous remettre en contexte: une semaine auparavant, mes élèves sont venus me voir à la fin de mon cours à midi.
"Madame, en fait, y'a un concours interétablissements le 17 et on voulait présenter une pièce de théâtre. Vous pourriez nous aider?"

Waouww!! Je suis comblée!! Mes élèves veulent s'investir au théâtre et c'est à moi qu'ils s'adressent!

Dans le contexte local, c'est tout simplement hallucinant.
Au fin fond de Ouaga, dans un lycée d'enfants bandits, j'ai réussi ... J'ai fait passer un message après 7 mois d'enseignement à leurs côtés. Ces petites victoires sont les plus remarquables.
J'ai traversé des moments de doute, de remise en question où d'autres me disaient de laisser tomber et de les laisser à leur triste sort, mais, je ne ais pas pourquoi, une intuition, j'ai continué à y croire...
Et voilà le résultat! Merci les enfants, merci, merci, merci!

Lorsque je leur avait distribué un cahier à chacun, au mois de décembre, pour qu'ils y laissent libre cours à leur imagination, qu'ils s'y confient par l'écriture ou le dessin, j'avais déjà été surprise. Ces petits bouts d'hommes et de femmes sont incroyablement perspicaces.
Il faut simplement prendre sur soi (parfois beaucoup!) pour arriver à se glisser dans leur quotidien et ainsi comprendre les causes de certains actes.

Ils sont paumés, soumis à des situations, des émotions et des décisions qui sont en temps normal réservées aux adultes. Pas de parents, élevés par des oncles et tantes éloignés ou leurs grands-parents qui les usent aux travaux de la maison (principalement les filles qui méritent moins d'étudier) en ne les nourissant pas assez. Ils sont livrés à eux-mêmes, obligés bien souvent de vendre du zoom-koom (boisson locale à base de farine de petit mil) ou de l'eau au bord de la route. Pas de structure familiale = pas de limite = ils ne rentrent pas dans le cadre scolaire ... C'est un cercle vicieux.

Bref, en ce qui concerne la pièce de théâtre, j'ai bien sûr accepté aussitôt. "Laissez moi le weekend et lundi je vous donne les informations En attendant, constituez un groupe solide de gens motivés.".

Cet après-midi là a été réservé à convaincre deux de mes amis comédiens de l'ATB (Atelier Théâtre Burkinabé): Dorkas et Lamine. Projet accepté, on commence dès le lundi à 17h! Chose dite, chose faite!

Nous voilà donc lundi soir regroupés dans une classe du lycée avec plus de 20 jeunes motivés. Le cocktail de l'inspiration de Lamine, des conseils de Dorkas et de ma connaissance de chacun d'entre eux ajoutés à l'engouement général, et hop! On se lance dans une pièce de 15 minutes sur le thème "Non aux violences faites dans les établissements". Que ce soient les élèves ou nous, cette semaine a impliqué des sacrifices dans des conditions d'entraînement parfois extrêmes. De 17h à plus de 20h, voire 21h chaque soir. Certains d'entre eux se doivent de mentir ou de déserter certaines tâches à la maison pour y venir. Conséquences: frappés jusqu'à n'en plus pouvoir à leur retour le soir, et bien sûr le ventre vide jusqu'au petit matin, car ici, quand c'estl'heure de manger, c'est l'ehure, et après on ne doit plus en parler.

Malgré cela, ils sont tous là au rendez-vous. Nos répétitions se font à la lumière des portables, et Ahmed (un des élèves) monte sur sa moto et la démarre pour nous éclairer de son phare dans les scènes les plus importantes.
Même si on est tous fatigués, on reste coûte que coûte. Après avoir fini à plus de 21h30 le vendredi, veille de la représentation, nous nous retrouvons tant bien que mal à 8h le lendemain matin et y repassons la journée entière dans la poussière de la minuscule cour de récré.

Les enfants se sont cotisés pour payer les condiments et tout ce qu'il faut pour manger à midi (ce qui est compliqué, vues leurs ressources financières!)

Le festival est le soir à 19h au Palais de la Culture (qui n'est pas à côté!) et les enfants, âgés de 12 à 20 ans, s'y rendront seuls, à pieds, en vélo ou en moto (pas du tout risqué n'est-ce-pas?).
On s'y donne rendez-vous peu avant et on s'inscrit ... On sent déjà le bordel et le manque d'organisation: tout le monde bourre à la porte d'entrée des artistes. C'est un brouhaha général, personne ne sait où il doit aller, à qui s'adresser. Les organisateurs, pour la plupart élèves des différents établissements en compétition, sont dépassés. Fatoumata, une de mes élèves, en fait partie. Ils tentent d'organiser un minimum la désorganisation mais c'est peine perdue. 8 établissements compétissant dans plus de 6 disciplines (théâtre, danse traditionnelle, ballet, humour, coupé-décalé ...).

Le ministre de l'éducation, dans toute sa délicatesse, arrive à 21h30, retardant d'autant le début des festivités. Mais ici, impossible de commencer quelle que festivité que ce soit sans LA présence de son excellence le ministre ... Et il le sait!

Les uns sur les autres, littéralement empilés dans de petites salles surchauffées reliées par de minces couloirs à la scène, nous attendons ... Nous attendons ... Nous attendons encore ... "Par quoi ça commence?" "j'sais pas!" "On est quel numéro?" "C'est ballet en 1er ou bien danse traditionnelle?" "C'est quelle école avant nous?" ... sont les questions sans réponses que les élèves, de toutes écoles confondues, se posent sans trouver de réponse auprès des "tee-shirts blancs" -(les membres de l'organisation) toujours plus dépassés.

Et là, c'est la pagaille qui s'installe: des élèves couchés parterre sur des pagnes qui commencent à avoir faim, soif, chaud et sommeil, des spectacles sans queue ni tête qui défilent, et surtout un blocage complet dans le couloir. Impossible d'avancer ni de reculer. Tout le monde est compressé et l'atmosphère devient insoutenable.

Sur la scène, même cinéma, personne ne sait où se placer et les micros mal réglés sifflent des bruits stridants toutes les deux notes. Claire, se faisant passer pour moi de l'autre côté (ça a parfois ses avantages d'être confondues parce qu'on est blanches! :D), court dans tous les sens, entre la cabine son et lumières et les enfants que je lui ai confiés et qui sont tout aussi paumés dans ce chaos sans nom.

19h ... 20h ... 21h ... 22h ... 23h ... 23h30 ... Nos élèves sont toujours à même le sol et les esprits commencent à s'échauffer " Madame, on nous a oubliés" dit l'un "Mais non, ça va aller!" dis-je, absolument pas convaincue de ma réponse!

Là, deux élèves jouant un rôle prépondérant dans la pièce viennent me voir: "Madame, c'est notre mère, elle est très fâchée, elle veut qu'on rentre tout de suite!" (Ce que je comprends bien sûr!) et un autre "mon père veut me frapper si je ne rentre pas maintenant!".

Et nous voilà, Lamine et moi, au téléphone avec chacun un parent, promettant de les ramener dès la fin de la compétition. Nous sommes maintenant responsables de leurs retours ... La situation devient de plus en plus rocambolesque et aucune information de la part des organisateurs...

1h du matin, tout à coup, Fatoumata accourt: "Madame! Les gens s'en vont! Ils ont dit que c'est la fin!". Et là, la voilà qui craque littéralement et se met à crier toute la rage qu'elle a dans le ventre: "Je me suis levée toute la semaine à 4h du matin, j'ai traversé le bas-fond toute seule alors que c'est dangereux, pour répéter le baller et le théâtre. Vous avez vu le temps qu'on a passé à faire ça madame? Et répéter jusqu'à 21h-22h chaque soir! Je me suis fait frapper chaque soir par ma grand-mère parce que je ne suis pas là pour les tâches de maison, mais je n'ai rien dit, parce que ça en valait la peine. Et voilà le résultat?? C'est comme ça qu'on nous remercie? Ca ne va pas se passer comme ça! On va aller se plaindre! On va parler au directeur! C'est un faux concours!".

La déception sur les visages des jeunes fait mal. Beaucoup on subi le même sort qu'elle et y auront droit y compris en rentrant ce soir (sans manger!). Ils ne parlent même plus. Tout ce travail abattu pour rien ...
Finalement, je me ressaisis et leur dis, pleine de rage et d'enthousiasme: "Ne vous inquiétez pas, rassemblez vous ici! Je veux une liste avec chacun de vos noms prénoms et numéros de téléphone! Cette pièce aura lieu, et dans une salle de théâtre où seront invités vos parents! (L'ATB ou le CCB (Centre culturel burkinabé)? On verra!) Il est hors de question que ça n'est pas lieu!" "Oui, madame! Merci".

Christian prête son dos et chacun, dans le noir, allumé d'une torche de portable, note ses informations. C'est le cœur un peu moins lourd qu'ils rentreront à la maison...


Des arrivistes, opportunistes, ayant pour unique but l'appât du gain et voulant s'en mettre plein les poches sans penser que ceux qui endureront leurs caprices seront des enfants, blessés dans leur estime de soi et pris au piège d'une farce monstrueuse. Voilà en gros le bilan scandaleux de cet épisode ...

Maintenant, c'est le moment d'organiser les retours: on fait des groupes avec des grands et des petits allant dans le même coin, et pour ceux auprès desquels nous nous sommes engagés, il faut compter: avec la motos de Parfait et celle de Xavier, on a trois motos et 8 gamins à ramener. C'est parti! A 3 sur la mienne, 4 sur celle de Parfait et 4 chez Xavier, nous voilà prês! Hop! Un arrêt par ci, un arrêt par là, jusqu'à avoir enfin déposé les deux dernières passagères! Ouf! C'est enfin fini!

UNE BIERE! Lessivés, on s’assoit enfin pour siroter une bière bien méritée ... Mon bus pour Lomé part dans exactement ... 3h! Pas le temps de dormir, on repasse vite fait à la maison et on passera toute la nuit assis autour d'une table avant que Xavier et Parfait (déjà presque dans les bras de Morphée) ne me laissent à 5h du matin devant la Rakieta (compagnie de bus) pour l'embarquement ... Ca y est! C'est les vacances! Yeepee! C'est parti!!

Si seulement je savais de quoi notre trajet serait fait ...










Monday, May 5, 2014

A la recherche du bonheur

La question : Que suis-je venue chercher ici ?
Maintenant que je m’installe un peu plus « durablement », la question m’est souvent posée...
Depuis plusieurs jours, je pense à cette question et la tourne et retourne dans ma tête.

Notre génération se cherche comme on dit ici. 
Vacillant entre deux mondes, l’ancien, dans lequel elle est née, et le nouveau dans lequel elle doit se construire (et qu’elle doit d’ailleurs aussi construire !). Chaque génération a ses propres contrariétés, ses propres combats et ses propres incertitudes, et la notre est confrontée à plusieurs éléments qui ont du mal à cohabiter : environnement (Il faut sauver la planète !! Attention au réchauffement climatique !!), crise économique et financière (remise en cause du système bancaire, de l’Etat, du rôle de chaque entité politique), crises identitaires (régionalisme face à la mondialisation : on a peur de se perdre dans une identité mondiale, donc, politique de la tortue, on rentre dans sa coquille au détriment de la découverte de l’autre), mais en même temps besoin de voyager, d’aller ailleurs, de donner aux autres (nous sommes de plus en plus, que cela soit pour quelques semaines, quelques mois, à nous expatrier, ou même à rester en bas de chez nous, et à donner de notre énergie et de notre temps pour donner un coup de main). A tout cela, et bien d’autres choses encore, internet qui a réduit considérablement les distances dans nos communications, même si il a remis en cause la valeur de chaque être et des liens qui peuvent nous unir, nous offrant le moyen d’échanger et de partager à distance, tout en rendant les relations plus superficielles que ce qu’elles n’étaient auparavant.

Je ne me sens pas vraiment enracinée où que ce soit, comme une plante qui est née dans un pot et qui change de maison et de propriétaire sans savoir où ses racines se planteront enfin dans la terre ferme.
J’ai récolté un peu de terre grâce à toutes les rencontres, toutes les découvertes, toutes les difficultés que j’ai surmonté durant ma modeste existence, et c’est ici que j’ai décidé de tenter de me planter dans la terre, même si cela ne signifie pas que je ne pourrais pas rempoter mes bagages et repartir ailleurs un de ces jours.

Ici, la terre est aride, la chaleur tape sur nos têtes, l’eau et l’électricité manquent, mais je m’abreuve des gens et du potentiel qu’ils ont en eux mais qu’ils ne peuvent pas toujours exprimer. Ils vivent de leurs rêves et ne cessent JAMAIS de les poursuivre, luttant chaque jour pour les atteindre, et ne les perdant pas de vue malgré tout ce que la vie peut mettre sur leurs chemins. Ce n’est pas parce que je n’ai pas réussi à obtenir ce que je voulais aujourd’hui que je n’y arriverai pas demain !
Un projet comme le projet Koorongo (lien ici), par exemple, je n’aurais sûrement pas réussi à le mettre en place, ou même pensé que ce n’est pas idiot ou hors de ma portée,  si je n’avais pas été ici. Je me souviens du jour où l’idée m’est venue, au mois de novembre, assise dans un maquis autour de bières Brakina, avec Nadège, mon amie burkinabé, et deux de ses amis. « J’ai une idée !! Je vais créer une bibliothèque dans le quartier ! »... Et là, engouement général :  « Trop bonne idée, tu as raison ! Ce serait génial que tu fasses ça pour le quartier, pour nos voisins ! ». Et Blam ! Me voilà en train de commencer à y réfléchir, toujours soutenue et encouragée par mon entourage (local, mais aussi familial et amical, ne l’oublions pas !).

Aujourd’hui, j’en suis à poster mon projet sur Ulule, et à aller à Koudougou, à  kilomètres de Ouaga, pour chercher un container où m’attendent 200 livres. Je n’en suis qu’aux prémices, mais je suis déjà tellement étonnée d’avoir réussi, grâce à la solidarité des gens, à l’enthousiasme de chacun. Mon frère, Florentin, en est à démarcher pour moi en France, de grouiller pour me venir en aide, mon père rassemble des livres et les descend à Marseille pour qu’ils soient chargés dans un container, mes amis européens me donnent de quoi lancer tout ça financièrement, mes amis d’ici me demandent où j’en suis, me donnent des idées, me remontent le moral et me disent de respirer quand j’hésite.

C’est dans ce genre de situation, que l’on voit qu’avec peu, rien dans les poches, on peut réaliser, ou en tout cas, tenter de réaliser nos rêves. Voilà ce que chacun ici fait au quotidien, avec la force et les moyens dont il dispose, quitte à retomber pour remonter à nouveau.

Certains n’y arriveront pas, mais d’avoir poursuivi leurs rêves leur suffit. Et c’est là que je me retrouve aussi, « qui ne tente rien n’a rien » est ma devise depuis longtemps maintenant, et je la retrouve dans cette philosophie de vie. En plus, certains partagent mon rêve avec moi, le soutienne simplement parce qu’ils m’apprécient, m’aiment, sans en connaître tous les détails. Ils croient en moi ! Cette phrase est très importante, car c’est aussi ce que je recherche, dans ma quête du bonheur : croire en moi, c’est me rendre heureuse, car cela amène plusieurs concepts : confiance et amitié en étant les piliers.

Ceux qui viennent ici me voir, ou visiter des amis expatriés suivant ma philosophie, sont souvent « choqués » par le fait que je puisse apprécier d’être ici : 
« C’est un bidonville géant ! », « Tu côtoies la misère chaque jour, regarde ici, regarde là bas ! », « Tu vies sans confort, sans même ni eau, ni électricité quand les coupures se font fréquentes ! », « Les gens n’arrivent pas à construire dans le temps, ici, mais tu continues à croire en eux ? », « Ici, la mort se vit au quotidien, tu n’as pas peur ? » etc.

A ces personnes, que je respecte et que je comprends, qui se trouvent projetées dans ce monde parce qu’elles viennent nous y voir, pour nous, je réponds que je ne comprends pas non plus le fait de rester en occident pour y vivre des problèmes superficiels, pour se fâcher dès qu’un piéton traverse au rouge ou que les trains sont en grève. A rentrer le soir à la maison, sans avoir rencontré ses voisins après plusieurs années au même endroit, pour s’asseoir devant la télé et y passer la nuit, enfermé dans son confort individuel, avant de recommencer métro, boulot, dodo. Tout le monde n’est pas comme cela, bien heureusement, mais je n’arrive pas à m’adapter à ca, j’ai besoin de contact humain, de partage et d’entraide, sans avoir à expliquer ce que signifie ces termes. J’ai besoin de simplicité, non pas forcément en termes de simplicité matériel (machines, infrastructures ...), mais simplicité humaine. Même si les relations humaines ne sont jamais simples, qu’il y a toujours de l’imprécis, du mystère, hormis certaines traditions encore floues pour moi, je trouve ici que l’on ne va pas compliquer le simple, et on va tenter de simplifier le compliqué. (Ca va, je ne vous perds pas au fin fond de mes pensées ? ;-) )

Bref, le bonheur peut être éphémère, mais pour le moment je me contente de ce que j’en trouve ici.


Tuesday, April 8, 2014

Petites anecdotes de professeur

Ça y’est ! Me revoilà face à ma plume électronique pour vous raconter mes dernières aventures après plus d’un mois et demi sans connexion... Eh oui ! Monsieur Ordinateur a décidé de griller pour me montrer que d’endurer 1 an de chaleur et de poussière burkinabè, et bien ca suffit ! Heureusement que je suis bien entourée et qu’ici, tout est possible ! Merci Parfait !

Aujourd’hui, je donne une rédaction en classe aux élèves de 5ème et CAP1 :

Writting test : Write 10 questions you would ask to your favorite star (soccer player, singer, musician, comedian, etc.). Je demande aux élèves de me traduire la consigne, et, arrivés au terme “musician”, un élève, à fond, lève la main: “madame, madame!! Moi, moi !! C’est « mécanicien » !! ». Fou rire général, je ne peux m’empêcher non plus : « bien, Ismaël ! Ta star préférée est donc un mécanicien ? Pas de problème, ecris-lui donc 10 questions ! ».

Rachid et Amza, deux jumeaux dans ma classe de 6ème, se disputent à longueur de temps. Un jour, c’est l’apocalypse. Ils en viennent aux mains au début de mon cours. D’autres élèves en profitent pour eux-même perturber le début de mon cours. J’entre dans la classe, et, impatiente aujourd’hui et n’ayant pas envie de faire la bagarre, je sors mon cahier et distribue les moins, tout en séparant les deux loustiques. Un silence total règne enfin. Là, pendant que j’écris au tableau, un bruit assourdissant réveille toute la classe : Amza, que j’ai mis au fond et qui ne peut s’arrêter de gesticuler dans tous les sens, s’est retrouvé enseveli sous les tables et les chaises qui étaient empilées dans le fond de la classe. Il a tellement peur de ma réaction, qu’il fait comme si de rien était, sous 4 tables et 10 chaises. Un spectacle ! J’ordonne aux autres de le sortir de là, et finalement, on arrive tant bien que mal à le faire sortir. Il se souviendra de ce jour !

Classe de 5ème. Le calme règne enfin, malgré le bruit de la circulation sur la voie rouge sur laquelle donne ma classe (qui, bien sûr, n’a pas de vitres !) et le vacarme ambiant des autres classes et de la cour à travers la porte en ferraille (cassée) qui relie la salle au reste de l’établissement. D’un coup, une de mes élèves les plus calmes, Faouzia, se jète littéralement sur Evrad, un élève des plus turbulents et insolents. Elle hurle à faire trembler les murs et l’autre peine à se défendre. J’interviens donc, me mets au milieu (prends quelques coups par la même occasion) et lorsque tout se calme, je demande à Faouzia, en larmes, qui a fini par mordre l’intéressé, ce qu’il s’est passé. « Il m’a frappée parce que j’ai fait tomber mon stylo ! » me dit-elle. Je me tourne vers Evrad qui dit : « Ben oui, Madame, elle ne doit pas faire tomber son stylo, donc je la corrige ! » ... Mmmmm ... Il reste beaucoup de boulot !

Quelques réponses en vrac à mes questions de français en 6ème et AP:
« L'obscurité c’est quelqu’un d'obstiné. »
« Un philosophe c’est quelqu'un qui raconte des histoires qui ne sont pas vraies et qui ne croit pas en la religion. »
« Un aviateur c’est un dessinateur. » (Logique, on fait Le Petit Prince !)

Après la lecture d’un texte, lorsqu’ils demandent le vocabulaire : « Mozart, c'est une marque de vêtements madame? »

A ma question, qu’est-ce-que la politique ? :
« La politique c’est des gens qui parlent pour se faire élire. Ils essaient de convaincre les gens pour gagner. »
« C’est des gens qui se réunissent. »
« La politique c'est l'argent. »

Je demande : « C'est quoi un fauve? » Christian répond : «Un marigouya! »
« Une cravate c’est un truc pour se rendre beau pour aller travailler au bureau. » « Non ! Une cravate c’est pour aller au mariage ou aux funérailles ! »

Et j’en passe et des meilleures ! Il me faudrait tenir un carnet quotidien pour noter tout ce qu’il se passe ... Un spectacle quotidien ! Malheureusement le temps me manque et je regrette de ne pouvoir le faire mieux que cela.

Bref, voilà déjà deux trimestres que j’enseigne en tant que professeur vacataire au même titre que les professeurs burkinabè. Il est très difficile de faire un retour sur soi lorsqu’on vit un quotidien et qu’on y prend de nouveaux repères, de nouvelles habitudes. Il faut à chaque fois tenter de prendre des distances pour analyser et se rendre compte de ses particularités et de tout ce qu’il y a à en dire.

Être professeur n’est jamais de tout repos, et lorsque des questions d’interculturalité entrent en compte, cela n’arrange pas l’affaire ! Une chose frappante est le rapport à l’autorité qu’il y a entre les plus jeunes et les professeurs. Comme je le raconte dans l’un de mes articles précédents, le rapport aux plus vieux, aux « coro » (grands frères) et aux « nikiéma » (vieux) est très différent de chez nous. Ici, il est normal qu’un « petit » aille payer les cigarettes, les sachets d’eau, ou fasse des courses pour les plus grands, qu’ils soient de la famille ou qu’ils soient des inconnus. Il est très difficile pour nous, occidentaux, de se prêter au jeu et d’envoyer les petits faire nos courses. Ils ne doivent rien dire et exécuter, par respect pour le plus âgé, en espérant secrètement devenir grand un jour et bénéficier des mêmes avantages. La parole des vieux est elle aussi toujours celle qui primera sur toutes les autres. C’est une très bonne chose, sauf lorsque le vieux raconte des bêtises que les autres commettront par respect.  Le rapport entre professeurs et élèves est le même, sauf ... lorsque l’enseignante est une femme... 
Ce n’est pas quelque chose de dit, mais après plusieurs mois d’enseignement, je suis frappée par cela. Déjà, les élèves ont tendance à nous appeler « Monsieur » par habitude de n’avoir que des professeurs masculins, et ce, même après 6 mois ! 
Ensuite, au niveau de la discipline en classe, le travail pour se faire respecter et avoir la paix est beaucoup plus long et difficile pour une femme que pour un homme, principalement (de mon analyse), par rapport à sa place dans la société. La femme est celle qui reste à la maison dès qu’un enfant vient au monde (même si les mentalités changent doucement), et celle qui se doit coûte que coûte respecter son mari, l’Homme de la maison, quitte à ne pas donner son avis et se taire. Les enfants assistent quotidiennement à ce type de relations et de comportements et ont donc (surtout les garçons), une approche de la femme différente de celle des hommes : on peut se permettre plus, voire reproduire ce que papa fait à la maison ! Le chemin pour obtenir les mêmes résultats que nos collègues masculins est donc davantage plus long, mais cela donne aussi la niak et l’envie de se surpasser.

Il m’a fallu aussi beaucoup de temps pour arriver à me caler sur le profil de mes élèves d’un point de vue culturel au travers de mes cours. Au début, on pense que certaines choses coulent de source, mais au fil des cours et des questions, on se rend compte du fossé culturel qui nous sépare. Expliquer du vocabulaire de base, des expressions usuelles chez nous qui sont totalement inconnues ici, utiliser leur vocabulaire et leur contexte pour leur expliquer les choses. C’est un exercice nécessitant beaucoup de ressources pour ne pas perdre le fil, et surtout beaucoup d’écoute pour apprendre et ne pas refaire le mêmes erreurs si l’on en commet. 
Tout le monde devient donc élève, moi comme eux. C’est une expérience fascinante et incroyablement enrichissante, qui pousse et repousse et repousse plus encore mes limites, remettant chaque fois mes acquis en question et mes compétences à l’épreuve.


Suite au prochain épisode, promis dans peu de temps ! (je poste maintenant, de peur que la Sonabel ne coupe à nouveau le courant et m’empêche de donner des nouvelles !)


A très vite, et « Vous sortez si vous n’avez pas de tenue ! »

Friday, January 17, 2014

Noël et Nouvel An burkinabé, les fêtes au pays des hommes intègres

Un petit petit article pour vous raconter un Noël et un Réveillon 2013 au Burkina.


Premier élément : il fait chaud ! Eheheh ! Un Noël sous la chaleur (même si les nuits sont fraîches), c’est tout de suite un Nöel pas comme les autres pour une occidentale. 
Sinon, ici, le 24 n’est pas le jour le plus important. C’est essentiellement le 25, voire le 26. Nous avions tout de même organisé un petit barbecue accompagné de crêpes (oui oui ! on a dégoté de la farine, des œufs, du lait et une poêle !), et de crumbles aux bananes cuits à la poêle, car ici les fours sont réservés à une certaine catégorie de la population. 

Alice, la nouvelle stagiaire, avait même ramené du Pastis de Marseille dans ses bagages, que nous avons siroté pendant la préparation du repas. Un super festin, accompagné d’alocos ( sortes de bananes frites comme les frites) et de frites avec un bon morceau de boeuf, du poisson et des crudités. De quoi bien se remplir la panse !

Le lendemain, 25 décembre, c’est le jour où l’on fait le tour des familles et des amis. Une longue balade gustative à travers toute la ville : j’ai dû faire pas loin de 8 cours où à chaque fois, nous avions droit à boire et à manger. Il faut tenir le rythme, et c’est pas si facile !
Le soir, ca continue ! Nous sommes sortis boire des Brakinas (bière locale), puis nous sommes allés ennuyé Seni, qui travaille toute la nuit dans un casino, pour rentrer enfin à la maison aux alentours de 4h du matin. Quelle épopée !

Et attention, il ne reste ensuite que 5/6 jours pour récupérer de l’espace stomacal avant de recommencer cette danse des plats. Ce n’est pas si éloigné de chez nous au final ! Pas de chocolats, de boules de neige ou de foie gras, mais du riz, des alocos, frites, crudités, du poisson, de la viande (boeuf, mouton ou poulet), du maïs soufflé (salé) et des gâteaux frits (petites boules de pâte sucrées qui sont plongées dans l’huile) qui ne se trouvent qu’à cette période.

Ces moments sont vraiment des instants de partage. La famille t’ouvre sa porte et t’offre à manger, chacun prenant le temps de s’arrêter un instant pour échanger. On se sent toujours à l’aise. Jamais de mises à l’écart, de regards biaiseux. 

Est-ce parce que je commence à m’acculturer au point de ne plus le remarquer ? En tout cas, je me sens comme à la maison, pourtant physiquement si loin.

Passer les fêtes loin des siens n’est pas toujours facile, on aimerait qu’ils soient là. Mais ici, ces moments n’ont pas amené la nostalgie qu’ils pourraient entraîner. Je me suis simplement sentie entourée, choyée, écoutée, dans chaque cour que j’ai pu visiter.

Nous avons fini dans la « grande famille » (c’est-à-dire la cour où vit la plus grande partie de la famille) de Nadège, ma meilleure amie burkinabé, à papoter gaiement sur des tabourets autour d’un plat de friandises (ces petits gâteaux et le maïs soufflé).

Le Nouvel An est aussi un moment très festif ! Le 31 au soir, les amis sortent ensemble pour aller boire et manger, et le 1er est réservé à la famille et au tour (à nouveau) des différentes cours.
Pour le 31, la soirée s’est déroulée chez des amis de Paspanga (un quartier de Ouaga) qui ont transformé leur cour en piste de danse (le salon d’une des maisons) et en lieu de réception : des canapés et des chaises ainsi que toutes les tables des voisins et des caisses de Brakina formaient des coins où chaque groupe d’ami pouvait s’asseoir et discuter tranquillement au son de la musique reggae, traditionnelle ou encore coupé-décalée.
A l’heure dite, nous avons pris la moto avec Nadège et Alice pour aller faire la surprise à Seni (qui, vous le comprendrez, représente beaucoup pour moi ;-) )et Urbain qui travaillaient une fois de plus ce jour là.
Bonne Année !! Que 2014 soit meilleure que 2013, tout le meilleur, santé, prospérité et bonheur. Que du positif, sauf le virus du Sida ! (Oui, oui, c’est comme ça qu’ils le disent !)

Le lendemain, journée à moto, entourés des amis burkinabé pour faire le tour de la ville à nouveau. Pas moins de 6/8 cours. Nous sommes même passés chez le maire de Ouagadougou ! (chut !)
C’est à 10 motos que nous nous déplacions, faisant remuer la poussière, klaxonnant et riant. 
Un super bon moment entre potes qui fait oublier tous les soucis et rappelle pourquoi nous sommes ensemble, tous, ici et maintenant. On verra de quoi demain est fait, mais aujourd’hui, mangeons ! buvons ! rions ! jouons !

Après tous ces moments partagés, toutes les expériences que ce pays m’a offert, toutes ces personnes inoubliables qui ont traversé mon chemin, je ne peux que m’y sentir de plus en plus « chez moi ». Je reste citoyenne du monde, fidèle voyageuse, mais ne refuse pas de poser mes valises ici pour plus longtemps que prévu, quitte à voyager depuis Ouaga plutôt qu’un autre aéroport dans le monde. 

On ne sait jamais ce que la vie nous réserve, mais je suis très heureuse de commencer cette nouvelle année ici, intégrée dans une culture qui garde toujours une place pour l’étranger, pour la découverte, vers l’Autre, qu’il soit effrayant, attirant, étrange ou tout simplement vu comme un être humain comme les autres.

Il ne faut pas oublier : dans un pays où le niveau de vie reste l’un des plus bas au monde, même si chacun cherche à survivre, la compassion, le partage et l’ouverture continuent d’avoir leur place, même si le capitalisme, venu d’Asie ou d’Europe, tente de les effacer.

Cette année a été pour moi l’une des plus éprouvantes mais aussi des plus enrichissantes de ma vie. Et tout cela dans la chaleur, climatique et humaine, la lumière, d’esprit et solaire, et la couleur, rouge des pistes ou verte des manguiers du Burkina Faso. Merci à ce pays et tous les gens que j’y ai rencontré pour ce que vous m’avez aidé à traverser, à découvrir, à affronter cette année. 
On se voit en 2014 !


Un dimanche au monastère de Koubri

Champs de bananiers fraîchement plantés
La semaine dernière, je reçois un appel de Pauline. Pour faire court, Pauline est une fille burkinabé que j’ai eu la chance de connaître dans l’avion lors de mon « retour » en France en août. Depuis, nous avions pu correspondre seulement par mails, car elle étudie la médecine en France et que pour ma part je suis revenue à Ouagadougou.

Et là, dring dring !!! Je décroche et Ô Grand Bonheur ! La voilà au bout du fil, m’annonçant qu’elle est revenue. Nous convenons donc de nous retrouver le dimanche, pour partir rendre visite à l’une de ses vieilles amies de l’école lorsqu’elle était encore ici qui est maintenant ... Bonne sœur dans un monastère à Koubri, une ville à une trentaine de kilomètres de Ouagadougou.

Hop ! De bon matin, vers 9 :30, nous chevauchons les motos, Alice (une nouvelle stagiaire), Pauline et moi. 
Vroum vroum !! En route sur cette route toute droite fraîchement goudronnée, le vent dans les cheveux. Nous dépassons le péage, où les vendeurs nous tendent des miches de pain et des oranges, puis continuons à travers les immensités vides de part et d’autre de la route.
Soeur Isabelle et Pauline en grande discussion
Des camions, débordant de marchandises faisant deux fois leur taille et leur poids au sommet desquels sont assis, placides, des hommes tenant leur vélo. Les taxis brousse et les bus partant pour le Ghana, bondés, suivent aussi gaiement notre trajectoire.

Arrivées au croisement menant vers la brousse profonde au fin fond de laquelle se trouve le monastère, nous sortons de la ligne droite pour nous engager dans des chemins à peine tracés au cœur de la forêt qui fait de l’ombre aux familles qui rentrent de la prière en longues files indiennes, à pieds ou à vélo et qui nous hèlent au passage, surpris de voir deux blanches perdues au milieu de nulle part. 
Là où le chemin prend fin, nous nous trouvons face à un modeste monastère, duquel sortent les bonnes sœurs pour nous accueillir et nous ouvrir leurs portes. Il est maintenant 10 :30.

Papayer du potager du couvent
Comme Isabelle était occupée, nous sommes réunis par d’autres sœurs dans une salle avec une famille burkinabé qui nous intègre comme si nous faisions partie de la famille. Pour nous accueillir, un plateau rempli de pots de yaourt est posé au centre de la table : ici, au couvent de Koubri, les sœurs font elles-mêmes depuis maintenant 50 ans le yaourt qui est vendu dans toute la région. Un délice ! Lorsqu’on ouvre le pot, on arrive au fond sans même s’en rendre compte.

Après ce temps familial partagé, Sœur Isabelle vient nous accueillir et nous nous éloignons dans une petite salle pour parler en toute « intimité ». Quel phénomène cette Isabelle ! Je n’avais jamais eu à faire à une sœur si ouverte d’esprit, pleine d’humour et parlant de tout sans être outrée !
Tous les sujets y passent : politique, sexe, relations amoureuses, souvenirs du lycée, vie au couvent, culture, etc. 

La sœur se lève alors brusquement : vite vite ! Je dois sonner la cloche, c’est l’heure d’aller prier pour le repas de midi ! Elle nous laisse donc et nous nous dirigeons tranquillement vers la paroisse, perdue au milieu de cette forêt verdoyante et ombragée, avec pour seul bruit le piaillement des oiseaux dans les arbres.
Pauline en grande négociation
Au moment de passer la porte de la paroisse, je ne me sens pas très à l’aise : je ne suis pas croyante et tous les gens qui nous accompagnent sont, eux, très impliqués. Heureusement qu’il y a Alice qui est tout aussi pratiquante que moi ! Après nous être installés, les soeurs entrent une à une, en faisant le signe de croix, puis s’agenouillent à terre pour prier le front sur le sol. C’est un étrange tableau qui nous fait face, mais nous ne perdons pas notre sérieux pour autant. 

Enfin, trois sœurs entrent, armées de leurs Coras (instruments de musique traditionnels burkinabé qui ont la forme d’une guitare mais se jouent de face et dont le corps est en fait une calebasse). C’est incroyable de voir cet instrument au sein d’une église. Je suis stupéfaite mais heureuse que traditions et religions puissent parfois se retrouver dans ce genre de détails.

La prière commence alors et nous ouvrons tous nos petits livres où un marque-page a soigneusement été inséré à la bonne page. Je suis très agréablement surprise au son du chœur des sœurs. Elles chantent super bien ! Nous avions peur de nous ennuyer, mais finalement le voyage s’avère plutôt intéressant.

Balade au potager
Après cela, nous nous dirigeons vers la salle commune accompagnées de la grande famille. Ils sont venus des quatre coins du monde pour les funérailles d’un oncle/père qui a été enterré au couvent. Ils sont 8 (ou 9), avec deux jeunes filles venues des Etats-Unis, leur oncle, une tante enceinte très bavarde, une autre très maternelle et trois enfants qui jouent, trottent et rient dans nos pattes. Certains ne se sont pas vus depuis plusieurs années et les discussions sont animées !
Il y a aussi un couple, très simple et très discret qui est assis à nos côtés.

Le repas nous est amené dans une grande marmite qui est posée sur la table au centre. Un énorme riz gras que je sers abondamment à toute notre petite communauté (ici on commence par les enfants)... Puis c’est l’heure de la sieste !

Après un bon roupillon, nous allons acheter du yaourt à la boutique : Pauline, qui s’avère être un ventre sur pattes, nous achète des pots familiaux que nous engloutissons sur les marches du couvent. 

Après cela, Isabelle vient nous chercher et nous partons pour la visite du potager... Et attention ! Ce n’est pas un potager parisien ! Ah non ! Plus de 250 hectares de rizières, manguiers, bananiers, papayers, citronniers, pommiers, etc. Et pour se faufiler à travers toute cette verdure, il faut parfois même escalader des barbelés, ce qui n’est pas une mince affaire pour une sœur en soutane. 
Après avoir soulevé un tronc d’arbre pour nous libérer le passage, elle nous dit d’escalader, puis de continuer sans nous retourner : 
« En tant que sœur, je ne peux tout de même pas vous montrer mes sous-vêtements ! ». 
Quelle crise de fou rire !

Durant toute l’après-midi, les deux filles (Isabelle et Pauline) nous racontent leur rencontre durant leurs études dans un établissement pour les sœurs, puis en médecine, avant que l’une décide de prendre le voile et l’autre décide de se marier avec le « plus beau garçon de sa classe ». «Tu aurais dû attendre » dit Isabelle « Les hommes sont trop imprévisibles ! », « Oui, mais c’était quand même le plus beau de la classe, comment je pouvais faire ? » lui répond Pauline (elle vient de se séparer de ce même garçon, avec qui elle a eu un petit garçon). 
A certains moments, elles nous laissent prendre de l’avance pour papoter en secret, s’excusant ensuite. Isabelle va même jusqu’à nous dire qu’il n’est pas du tout facile de tenir le vœu de chasteté, même si elle ne pourrait jamais passer le pas ! Ahahahahah !
Le potager

L’après-midi touche déjà à sa fin, et le soleil commence à saluer le monde pour aller se coucher. Nous étions si bien à nous balader sur ces chemins de brousse, dans le calme paisible de la campagne.
Il nous est difficile de quitter la famille à laquelle nous nous sommes attachées le temps d’un après-midi et de laisser Isabelle qui me fait promettre de revenir passer du temps au couvent.

Nous enfourchons nos motos pour prendre la direction du monastère des pères (qui se trouve à côté, mais que les sœurs n’ont pas le droit de voir), afin d’y acheter du... Fromage ! Oui ! L’un des seuls endroits du Burkina à en produire !! Nous y achetons deux tommes de vache, et deux de chèvre dont une est destinée au propriétaire de la moto qui nous a amenée sur place. Ce soir c’est festin !

Sur le chemin du retour, le soleil se couche le long de notre route. C’est comme si tout ralentissait et que même les camions surchargés et les bus quittant le Ghana roulaient au pas pour ne pas le déranger. 
Les troupeaux, menés par un vieil homme ou un enfant sur le retour de l’école ou de la prière, traversent la voie tranquillement. Les femmes, alignées le long du goudron pour y vendre des arachides, fruits, légumes ou épices en tous genres, commencent à rattacher leurs bébés dans le dos à l’aide de pagnes colorées. Les bicyclettes s’alignent et dansent en rythme. 

Le chahut commence à revenir, la voie à se dédoubler ... Nous voilà à nouveaux aux portes de Ouaga. 
C’est l’heure des bises (au milieu d’une intersection) avant de reprendre le chemin de la maison. 

Une énorme tartine de fromage partagée avec les chanceux présents, et hop ! Au dodo !

Tuesday, December 3, 2013

Retour en Terres Ouagalaises, Professeur de rien

Après deux mois intenses de retour en Europe, voilà que je repose les pieds en terres burkinabè le 7 octobre 2013 pour de nouvelles aventures. Et oui, quand ca nous prend, impossible de se décoller le moustique qui nous pique en venant ici !
Bref, cette fois, l’expérience est très différente ! Me voilà donc professeur d’anglais et de français dans un petit lycée de Gounghin, pour des élèves de 6ème et 5ème (oui, ici on appelle lycée tout le cursus de la sixième à la terminale).
En parallèle, je suis stagiaire au sein de l’association ACMUR (Association Clown Marionnettes dans nos Rues), en tant qu’administratrice de projet pour le Festival Rendez Vous Chez Nous 2014. Ces deux expériences m’apportent énormément, et je compte bien vous en faire partager quelques moments, entre interculturalité, échanges, fous rires, incompréhensions, prises de consciences, remises en questions et humanité.

Pour commencer, la rentrée au lycée T. Ilboudo de Gounghin. Une chance inouïe, j’habite au siège de l’association, qui, par le plus pur des hasards se trouve à ... 500 mètres du lycée ! Je peux donc me rendre d’un endroit à l’autre sans problèmes de transport, en toute tranquillité. Le rêve !

Premier jour, la Nassara (blanche) débarque. Les regards interrogateurs des élèves et des professeurs... On a pas l’habitude de ça par ici ! Et en plus, elle rentre dans les bureaux de l’administration ! Bizarre, bizarre !
Je me retrouve donc avec la directrice des études qui me donne mon emploi du temps et m’explique que les cours commencent pour moi ... Demain ! :D
Pas de souci ! Et les livres ? Et les programmes ? Et mes collègues ? Bon, on va tenter de se débrouiller comme on peut. Elle me tend un livre de français et me dit gentiment : c’est déjà pas mal pour commencer, non ? ... Mmmm, oui, allez hop ! Mieux vaut ça que rien ! 
Les secrétaires rient, elles voient que je suis un peu perdue et ça déclenche des crises de rires. Bon, je vais rentrer préparer tout ca ! Je n’ai absolument aucune idée de ce qui m’attend, du nombre d’élèves, de l’organisation administrative, etc. Juste le livre et ma bonne volonté ! Je repars sous le regard des élèves, qui tentent de savoir la raison de ma présence...
Hop ! Au réveil, branle bas de combat, à l’attaque de ma classe et de cette rentrée pas comme les autres pour moi ! Je passe par le bureau des secrétaires qui se trouve à l’entrée de l’établissement, et je me renseigne : Y-a-t-il une liste de mes élèves ? Oui, oui, vous ne l’avez toujours pas ? Ben ... Non ... Elle me la tend, et je commence à compter 1, 2, 3, 4, 5 ... 40 pour les 6èmes, puis 1, 2, 3, 4, 5 ... 49 pour les 5èmes ... Ah, d’accord, oui, bon, ca fait du monde ! :D Moi qui vient de ma petite France qui ne dépasse pas les 30/32 par classe et on s’en plaint !

Les têtes se tournent vers moi dès mon entrée dans la cour et me suivent jusqu’à mon entrée en classe... Puis ce sont mes élèves qui se tournent et tombent des nues... ( ???) C’est elle ? C’est une nassara ! A yaa nassara ! ahahahah !
"Levez-vous ! Bonjour, je suis votre nouvelle professeur de français ! Nous allons faire les présentations !"
Les rires fusent, ils sont impatients de savoir à qui ils ont à faire, et moi aussi !

Je commence déjà à repérer les cas qui risquent de me poser problème. Ils crient du fond de la classe « Madame ! Je veux venir en France avec vous ! » « Madame ! Le Burkina est meilleur au foot !! »... Eheheheh ! 

Je sors la liste de mon sac et commence à appeler les noms en tentant de ne pas les écorcher, ce qui est difficile, puisque très peu ressemblent aux noms français. C’est rires sur rire... Surtout qu’entre les Ouedraogo Fadilatou, Ouedraogo Fatoumata, Ouedraogo Fatilatou, Ouedraogo Rabiatou, Ouedraogo Faouziatou, Ouedraogo Latifatou et j’en passe, je vais avoir du mal à faire la différence ! Ahahah !
Après cela, les présentations de chacun. On prend une feuille et on écrit son nom, prénom, âge, et ce qu’on souhaite faire plus tard. Ils sont interloqués : « On comprend pas Madame ! » « C’est simple, une feuille, et vous écrivez tout ça ! » « C’est bizarre ... ». Bon, finalement ça marche ! Après ça, j’accepte certaines questions sur la ville d’où je viens, et je tente une France dessinée au tableau... Mouais... Ca ira ! On replace quelques villes tant bien que mal, même si pour beaucoup Paris se trouve à Marseille et après avoir effacé toutes les zones d’ombre me concernant, nous pouvons commencer les leçons !


La suite au prochain épisode, entre fous rires et prises de tête ! ;)