Tout
d’abord, nous devons informer toute la famille de notre intention de nous
marier. Cela a pris plus d’un mois. Puis, après cela, nous passons à
l’organisation pratique.
Il est originaire plus exactement de Koumi, un petit
village classé patrimoine de l’Unesco, à une quinzaine de kilomètres de Bobo.
Dans leur culture, la femme ne participe pas à l’organisation de la cérémonie.
C’est au mari et à sa famille de le faire. Dans mon cas, cela m’arrange plutôt,
vu le travail que j’ai ces derniers temps. J
Yves, quant à lui, se retrouve au beau milieu des préparatifs sans savoir ce
qui lui arrive.
Nous avons de la chance, l’aîné de sa famille, Cyril, est
quelqu’un de très bien et il est, fort heureusement, présent à Bobo, où devrait
se dérouler la cérémonie. Du début à la fin, de notre première rencontre au
mariage, il nous a épaulés et conseillés à chaque fois que nous avions une
question ou un souci.
A Ouaga, Yves a deux sœurs, Mimi et Dési. Elles aussi se
sont investies dans les préparatifs, même si à distance ce n’est pas facile.
Notre rôle a été, tout d’abord, de comprendre ce qui nous
attendait. Puis, nous avons choisi une date. Enfin, nous avons fait coudre nos
habits de mariage (en basin blanc), et nous avons envoyé de l’argent pour
participer aux frais d’organisation. Pour ma part, j’ai aussi dû choisir une
« famille de substitution » afin de représenter mes parents lors de
la cérémonie (Line, amie et collègue mariée depuis 10 ans à un burkinabé mossi,
et Aude, une autre amie prête à se faire respecter au village). Le reste, un
grand mystère… Jusqu’au jour J.
La pression pesant sur les épaules de mon
futur époux est donc plus qu’importante.
Avant de partir, j'ai même droit à un "enterrement de vie de jeune fille" organisé par mes deux mamans d'adoption, à l'africaine: on mange du poulet à l'ail et des frites au stade municipal et on me donne des gages applicables localement: demande 10 conseils aux personnes alentours pour être une bonne épouse, etc. Un très bon moment! :D
Ca y’est ! Le grand jour approche ! Nous sommes
allés, mes belles-sœurs, Yves et Amélie et Julie (deux amies venues de la
France juste au bon moment !), chez le couturier pour commander nos
habits. Après un choix difficile, nous finissons par nous entendre, et je viens
chercher les habits la veille de partir.
Aïe ! Catastrophe ! J’ai
demandé du orange et bleu, et voilà que le couturier a mis du doré … Ici, les artisans prennent chaque fois des libertés. Pas facile ensuite de leur expliquer qu'ils ont fait ... n'importe quoi! :D
Pour nous,
comme c’est le mariage, il se remet au travail pour corriger ça toute la nuit
durant, afin que cela soit prêt le jour du départ. Ouf ! C’est bon !
Le travail est rattrapé !
|
Longue attente avant de prendre le bus |
Nous partons pour Bobo avec une nouvelle compagnie de bus qui
vient d’ouvrir dans notre quartier et qui relie Bobo rapidement et sans
encombre. Notre seul problème est que c'est le début des hostilités contre le gouvernement actuel, et que, pour cela, les manifestants coupent l'axe reliant Ouaga à Bobo, seule voie possible entre les deux villes. Nous devions partir à 7h et nous devrons attendre, coincés, 10h pour quitter enfin la ville.
Je ne me plains absolument pas de cette situation, car le peuple est en droit de se faire entendre. Le vent du changement se fait pressentir, attendons de voir ce que l'avenir proche nous réserve...
Arrivés à Bobo, nous nous rendons en grande famille (c'est comme ca qu'on appelle la cour familiale). Nous sommes accueillis par la famille presque au grand complet: tous les frères et leurs femmes, le papa et la maman. Seules les deux soeurs de Ouaga manquent à l'appel, car elles prendront le bus de Ouaga demain.
|
Le thé en grande famille |
La journée du lendemain, après une bonne nuit de sommeil dans la fraîcheur bobolaise, s'écoule tranquillement, nous laissant le temps de faire le tour de la famille et des proches en respectant le "protocole d'arrivée".
C'est une longue soirée qui nous attend: on boit tout d'abord le thé avec les voisins et les frères sous le hangar devant la maison, autour d'un grand plat de riz gras que nous a cuisiné Nicole, la femme de l'un de ses frères. Amélie et Julie nous rejoignent pour finir en boîte et fêter notre dernière soirée avant d'être liés pour la vie.
Nous finissons les hostilités à 3h du matin. Après avoir évité les masques blancs de la nuit, tenus par des chaînes et errant dans le centre de Bobo, qui sortent rarement mais frappent tous ceux qui les croisent, nous rentrons enfin à la maison...
|
La Guinguette, Line Gaétan et David |
Pas de chance! Une réunion de famille s'est improvisée au salon entre la maman et Mimi, arrivée de Ouaga. Nous nous retrouvons donc impliqués dans les discussions le cerveau en vrac. C'est très amusant de voir Yves, les yeux à moitié fermés, en train de tenter de défendre son opinion entre sommeil et relents de Brakina. :D
Enfin, nous pouvons aller nous coucher ... séparément! La dernière nuit se fera en chambres séparées!
Debout! C'est aujourd'hui que ça se passe! Nous devons être sur place à 15h. Cela nous laisse le temps ... d'aller à la Guinguette! C'est un maquis installé le long de la rivière à 10km environ de Bobo. On peut y boire un coup sous les arbres et se baigner dans la rivière. Parfait! En route voyageurs!
Après une discussion intense avec le chauffeur d'un mini-bus et son patron désagréable qui devaient assurer le trajet jusqu'à la Guinguette et Koumi, nous décidons de nous débrouiller avec nos propres moyens: on fera un aller-retour avec la mercedes prêtée par un des beaux-frères de Yves.
|
Coiffure à la fourchette made in Line |
Super après-midi passée en compagnie de ma "famille" locale venue m'accompagner et me défendre pour le mariage: Line et ses trois enfants, Aude et Nico, Mien et Armel, Amélie et Julie et nous, jeunes mariés. Toute la troupe profite de la baignade, d'un verre et d'un bon riz soumbala à l'ombre avant de démarrer les hostilités.
C’est le moment idéal pour que Line me coiffe pour que
personne n’ait à le faire au village, on ne sait jamais ! A vos cuillères !
C’est avec la cuillère du riz soumbala que nous venons d’engloutir qu’elle me
fait des tresses … africaines comme on les appelle ! ;) Et le
résultat est surprenant : magnifique, juste assez simple et compliqué pour
être coiffée sans excès.
Après avoir profité de l’eau et avoir ri tous ensemble, c’est
l’heure !
L’aîné de Yves vient nous chercher avec sa voiture, ce qui nous
permettra de ne pas faire deux aller-retours. Vraiment, c’est une crème !
Le soleil est au zénith malgré les 15h bien tapées. Nous grimpons, rafraîchis,
dans les voitures après avoir rempli le coffre de nos affaires. Dans le calme
et la bonne humeur, musique sur le poste de la voiture, nous roulons gaiement
en direction de Kokoroé où habite l’un des grands-pères de Yves : Tonton
Ernest.
La poussière se lève sur notre passage, le vent souffle tranquillement
sur nos serviette humides étendus aux fenêtres et sur les sièges.
|
La belle-famille et Tonton Ernest |
Tonton Ernest nous attend, de bleu vêtu, dans une chaise de
tissu, au pied du mur de sa maison, sous un manguier.
Des bancs sont amenés par
les villageois, tous heureux de nous accueillir, en file indienne dans les
grandes herbes.
Nous nous asseyons en cercle autour d’Ernest qui fait apporter
le dolo, ou tiapalo (bière locale) et les calebasses pour nous faire boire en
signe de bienvenu. Il parle dans un français parfait et érudit et me fait
approcher.
Il est très heureux de faire ma connaissance et celle de ma « famille ».
Il se met alors à nous chanter une chanson en Bobo, adressée aux deux mariés :
« Abou (surnom de Yves en famille) m’a dit que c’est elle, il a trouvé celle
qu’il voulait et est venu me la présenter. Tous mes vœux de bonheur (…) ».
Les villageois tapent dans les mains et sur les objets qui les entourent et
Yves se met à danser avec une des vieilles du village en riant.
L’ambiance est
très bonne. Une assiette pleine de « chitoumou » cuisinés à la façon
Bobo fait le tour des invités et des villageois : ce sont des chenilles
tachetées de noir et blanc qui sont cuites dans le soumbala et présentées en
soupe.
|
Yves danse chez Ernest |
Je m’aventure à en manger et … c’est bon ! Un petit goût de
noisette mélangé au soumbala et c’est plutôt craquant. Tout le monde ne s’y
essayera pas ! :D
|
Tonton Ernest |
Après avoir reçu les bénédictions d’Ernest que j’adore déjà,
nous remontons en voiture, et après un demi-tour difficile dans les ruelles du
village, nous repartons à travers la brousse, cette fois-ci en direction de
Koumi, le village familial, qui se trouve à seulement quelques kilomètres de
là.
L’arrivée fut fracassante ! Les femmes du village
attendent déjà la mariée, et, même si elles ont tout d’abord du mal à me
désigner, elles finissent par me trouver et commencent les cris et les chants.
Elles m’accompagnent jusque dans la chambre qui nous est réservée.
Yves est
écarté et n’a pas le droit de me suivre. Je suis un peu perdue, d’autant que je
ne comprends rien au Bobo.
Dans la chambre m’attend la maman de Yves qui me
rassure tranquillement en me disant « ne t’inquiète pas, nous sommes là. ».
C’est ce que font aussi Line et Aude qui viennent s’asseoir près de moi sur le
lit en me disant qu’elles ne me quitteront pas.
|
Arrivée au village |
Finalement, les femmes finissent par nous laisser nous poser
quelques minutes, et on nous assoit ensuite à l’extérieur sur la terrasse
couverte de la maison où sont déjà disposées pas mal de chaises pour l’événement.
Les sœurs et belles-sœurs de Yves sont en train de préparer le riz et le tô
pour le soir.
Après quelques instants, nous demandons la permission d’aller
nous promener un peu. Accordé !
Nous commençons à nous enfoncer dans le village, en suivant
le son d’une musique au loin, tous un peu hagards. Nous apercevons une maison,
et ma belle-mère arrive en courant derrière nous.
|
Arrivée dans la chambre |
Attendez !! Vous n’avez
pas le droit de vous promener dans le village sans qu’un membre du village ne
précède vos pas ! Elle me présente alors ma « protocole », comme
je la surnomme, qui va me précéder durant deux jours et m’accompagner tout le
long de la procession. Ouf ! Nous avons évité le pire !
Après avoir
salué les gens de la cour, nous apercevons, un peu plus loin, assis sous un
arbre, le père de Yves et deux autres anciens du village (très bien habillés !).
Nous nous approchons et mon beau-père (Albert), me fait approcher et asseoir
entre lui et l’un des notables du village qui nous raconte en détails l’histoire
du village par rapport au mariage :
|
A droite, Albert, à gauche l'Instituteur |
Depuis toujours, lorsqu’un homme du village marie une femme
étrangère, c’est-à-dire n’appartenant pas au village, une cérémonie de « bienvenue »
est faite en son honneur pour la remercier de venir grandir le nombre d’habitants.
L’homme ayant « enlevé » (on appelle ce type de mariage la …….) la
femme dans son village, il doit la présenter à tout le village par une procession
dans les rues et en l’introduisant dans chaque foyer.
Les différents chefs
doivent ensuite donner leur accord ou non pour cette union. C’est ce qu’il va
se passer pour moi.
|
La maman de Josseline, ma protocole, qui me remet le foulard |
Après que l’on nous ait donné la route (les anciens donnent
le droit aux plus jeunes de continuer leur route, c’est toujours comme ça dans le
pays) et que ma protocole m’ait habillé dans le même pagne qu’elle (« Jésus
est ressuscité » … Tout à fait moi ! :D), nous continuons
vers la musique qui provient d’un autre mariage que nous nous devons d’aller
saluer.
C’est une marée humaine qu’il y a là-bas ! Nous avons dû serrer au
moins 100 mains si ce n’est plus (heureusement qu’Ebola n’est pas ici !).
Le papa du marié nous a remis de l’argent en guise de bénédiction, j’ai salué
les deux mariés, et la maman de ma protocole m’a couvert la tête avec un foulard
que je garderai durant toute la soirée, en signe de bénédiction.
Nous sommes ensuite allés rendre visite, toujours de plus en
plus suivis, à une griotte du village. Cette femme est incroyable ! Du
moment où nous sommes allés chez elle jusqu’au lendemain matin, elle ne s’arrêtera
pas de chanter ni de danser.
L’instituteur à la retraite nous ayant présenté le mariage
au village nous a rejoint et nous avons fait, cette fois, le tour du village
animiste (la maison construite par mon beau-père est dans la partie
catholique), avec toutes les explications de chaque lieu important.
Je suis présentée au chef du village et à ses deux femmes
dans leur maison, puis au chef de l’environnement (des terres).
Nous retournons
ensuite en direction de la maison, la nuit commençant à tomber.
Quelle marche !
Nous sommes épuisés, mais cela ne fait que commencer !
Une fois à la
maison, on nous sert du riz gras (nous sommes regroupés, ma famille, et la
famille de Yves ne mange pas avec nous), pendant que nous enchaînons les
passages à la douche dans la maison.
Même pas le temps de manger pour Yves (qui
peut manger avec nous) et moi, car nous passons notre temps à nous lever pour
saluer.
Je n’arrive plus à compter le nombre de mains serrées et le nombre de
bénédictions reçues ! J
Ni même tous les noms et les liens de parenté !
Après m’être changée pour porter l’habit que m’avait offert
l’aîné de Yves pour l’occasion, nous nous sommes assis côtes à côtes et tout le
reste des convives se sont assis à nos côtés en formant un cercle.
A ma droite,
mes amis, puis beaux-frères et belles-sœurs et à ma gauche Yves, puis ses
parents et oncles. En face, des gens du village.
|
Devant la maison du chef |
Au centre, les griots sont
arrivés et se sont mis à jouer, accompagnés des danseurs griots portant des
bracelets de métal aux pieds, sautant et trottinant au son des tamtams, dgembés
et longas (petits tamtams qu’on met sous le bras et qu’on tape avec une
baguette en forme de crochet). Takatakatak ! Cling cling ! Takatakatak !
Cling cling.
Les danseurs forment un cercle face à nous, et les invités
commencent à y entrer.
Le cercle devient grand, et tout le monde, y compris
nous, dansons les uns derrière les autres au rythme de cette musique
envoûtante. A un moment, on nous amène à manger (il est déjà minuit), et on me
dit qu’il faut que je suive ma protocole. Je n’arrive pas à manger.
On m’emmène,
accompagnée de Line, dans une dépendance de la maison, de l’autre côté de la
fête.
|
Perdue |
A l’intérieur, quatre vieilles femmes parlant Bobo m’habillent avec des
pagnes en coton et lignes vertes et bleues choisies pour moi par le chef du
village. Toute ma vie de couple, ce seront les pagnes que je porterai lors des fêtes
et rencontres au village. En plus de m’habiller, on me couvre complètement la
tête avec un pagne identique.
Je ne vois plus rien, j’entends simplement les
instruments qui tapent et le bruit des pas de danse des griots. On me fait
alors sortir et la musique s’accélère.
Je tiens fermement la main de ma
protocole qui essaie tant bien que mal de m’indiquer l’endroit où je dois poser
les pieds.
J’ai chaud là-dessous, mais je ne eux rien dire. Je suis là, seule
avec moi-même, sous ce pagne, imaginant ce qu’il se passe autour, en sueur.
J’ai
le ventre noué, heureusement, Line me pose une main chaleureuse sur l’épaule et
me glisse à l’oreille « ne t’inquiète pas, je suis derrière, je ne te lâche
pas d’une semelle ! ». Je me sens rassurée et me détends un peu.
|
Bénédictions |
Au
bout d’un certain temps, on m’assoit sur une chaise au centre (je pense,
puisque je suis toujours couverte) du cercle.
Les musiciens s’arrêtent, puis
reprennent, accompagnés cette fois des chants des femmes, qui, j’imagine, entonnent
les bénédictions.
Enfin, on ouvre partiellement mon pagne sur la tête, et je
peux apercevoir mes amis. Je suis en face d’eux, bel et bien au milieu du
cercle.
Les aînés du village me saluent, et, comme depuis le début des
festivités, les femmes me bénissent en tournant un foulard au dessus de ma tête
plusieurs fois et en répétant des mots incompréhensibles pour moi.
Je réponds
seulement « ami, ami, ami, amina ! (amen), ou encore « mba !
mba ! », qui j’imagine sont aussi des remerciements.
Ma protocole est
en or, elle parle parfaitement français et m’explique tout ce que je ne
comprends pas sans même que j’aie à
poser la question. Elle a aussi beaucoup d’humour et de caractère, ce
qui me convient très bien dans ces moments !
Un moment après, on me lève pour me déplacer et
me mettre, cette fois, dos à mes amis, face au reste du village et aux danseurs
et musiciens. Les chants continuent, entonnés par les femmes et les griots. On
m’enlève enfin le pagne recouvrant ma tête et je peux respirer. Cette cérémonie
durera toute la nuit, jusqu’au lever du jour. C’est incroyable l’endurance et l’agilité
des danseurs mais aussi de la griotte et des vieilles du village qui ne s’arrêteront
pas de danser jusqu’au petit jour sans flancher.
Il faut dire que le dolo est un bon carburant !
J
J’ai réussi à veiller, ainsi qu’Yves, jusqu’à 4h 30 du
matin, heure à laquelle on nous oblige à aller nous allonger un peu, chacun
dans ue chambre séparée. Moi, ce sera avec ma « famille »…
... Mais pour
peu de temps ! 1h de sommeil, et on me réveille : c’est reparti,
dépêche-toi !
Il faut t’apprêter ! On repart pour le village
(animiste), pour la tournée des maisons. Aïe !
|
Bénédictions dans la grande famille animiste |
Cette fois, c’est mon habit blanc, en basin
brodé, que je sors, avec, par-dessus, les pagnes traditionnels choisis par le
chef.
On me couvre la tête (je vois un peu cette fois), et au moment de sortir
de la maison, on me remet un bâton et un panier que je dois placer sur ma tête.
Je me retourne, angoissée, vers ma protocole : « je vais devoir
porter ce panier jusqu’au village ?? », elle me répond en souriant « ne
t’inquiète pas, on va te l’enlever avant. ».
Ouf ! J’ai eu peur !
Arrivés à l’orée des champs de canne à sucre et de mil, la maman de Yves et ma
protocole m’enlèvent le panier, me laissant seulement la canne qui m’aidera, d’ailleurs,
à tenir droite sur mes jambes dans les ruelles en pente et escarpées du
village.
C’est parti pour une longue marche, fatigués par la nuit que nous
venons de passer, mais poussés par la foule.
Mes « chaisiers », comme je les appelle, courent
devant. Ils portent ma chaise et celle de ma protocole et doivent toujours nous
précéder dans chacune des maisons des notables dans lesquelles nous allons nous
rendre.
C’est un manège très drôle, ils sont parfois (ou elles), obligés de
grimper sur les toits ou de courir dans des ruelles parallèles pour nous passer
devant. Pas facile comme rôle !
Ma protocole, toujours à mes côtés et me donnant la main, me
guide dans les méandres du village.
Je ne sais même plus d’où nous venons et où
nous allons.
|
Petit rhabillage entre deux maisons |
Le rituel est à suivre strictement : on salue les femmes
devant la porte, on entre, on m’assoit (je n’ai pas le droit de le faire toute
seule), puis on me fait les bénédictions en tournant un tissu au-dessus de ma
tête pour les femmes et en tournant la main ou la canne pour les hommes.
Après
cela, le notable de la maison s’adresse à moi, ou à ma protocole, qui me
traduit ensuite et m’explique ce que je dois répondre « mba ! mba ! ami,
ami, ami, amina ».
Ensuite, pour finir, le notable me remet dans la main
droite, en prenant soin de ne pas même effleurer mon bâton, des coris
(coquillages en forme de goutte qui servaient autrefois de monnaie d’échange),
et des pièces de monnaie.
Je dois ensuite les remettre dans la main droite de
ma protocole qui les glisse dans un petit sac en toile qu’elle conservera pour
moi par la suite.
Enfin, on se lève et on enchaîne avec les maisons suivantes :
le chef du village, la cheftaine, le chef de l’environnement, le chef de la
justice, le chef des griots, le chef des forgerons, le gardien des fétiches, celui
des masques, la grande famille Sanou, le chef de la pluie et des récoltes, etc.
|
De maison en maison, nous voilà rêveuses |
A la fin, ni moi, ni mes amis qui me suivent ne savent ce qui nous arrive.
Les
pieds nous font mal, je transpire abondamment sous mon pagne traditionnel, on
est ballottés de maison en maison, encore des mains encore des mains encore des
mains qui veulent nous saluer.
Tout cela, au son des percussions des griots,
des danseurs et leurs bracelets et des chants des femmes qui ne se sont pas
arrêtés depuis hier.
|
Les danseurs le matin |
Une longue procession suit mes pas et ceux de ma protocole,
mais, la tête enfouie sous le pagne et les pensées vagabondes, je ne le sais
même pas. Je tente de me souvenir de tout, de respecter chaque geste
méticuleusement, de serrer chaque main, et, seule sous cet habit, je pense au
chemin parcouru jusque-là, aux liens qui m’unissent à Yves, à ce que cela
engendrera dans nos vies.
C’est étrange, mais malgré le monde, je suis seule...
|
Chez le chef du village |
Ca y’est ! Nous avons atteint la dernière maison !
Maintenant, c’est le retour à la maison familiale, pour ensuite repartir en
direction de Bobo et prendre notre bus avant midi, car les mouvements sociaux
qui doucement soulèvent le pays commencent à faire rage, et les routes sont
bloquées matin et soir. L’appel à la désobéissance civile faite par l’opposition
et les représentants de la société civile est pour demain. Il nous faut donc
vite rentrer à Ouaga.
Avant de partir on m’explique la valeur de mon bâton :
un homme ne peut s’en approcher, le toucher ou l’enjamber, sous peine d’avoir
quelques problèmes à … se reproduire ! J
C’est un bâton que peu de femmes au village ont, mais que l’on me remet car
Yves est le gardien des masques et le cadet de la famille. C’est une grande
responsabilité. Le bâton est déposé dans un coin de la maison familiale et ne
bougera plus tant que je ne le bougerai pas moi-même… Même après 100 ans !
|
Photo de mariage (la seule où nous sommes 2!) |
La fratrie Sanou a été incroyable tout au long de la
cérémonie :
Cyril n’a pas fermé l’œil de la nuit pour que tout se passe
bien.
Jean-Paul a été a côté de moi toute la matinée, filmant chacun de mes pas
et surveillant chaque geste des villageois.
Amédé n’est lui aussi pas très loin
et fait la chasse à quiconque voudrait mettre un nuage noir au-dessus de notre
union et de la fête.
Ernest et Albert ont orchestré soigneusement chaque moment,
évitant toutes sortes de problèmes, spirituels ou autres, et nous permettant de
ne pas avoir un seul souci en tête.
La maman et les sœurs et belles-sœurs,
quant à elles, ont surveillé de loin et ont géré toute la nourriture et les
boissons.
Je leur en suis reconnaissante et espère pouvoir leur
prouver cela.
Cette expérience a été intense, spirituelle, sociale, et m’a
permis de comprendre certains aspects culturels nécessaires à ma vie de couple.